Des locataires peuvent faire face à toutes sortes de problèmes dans leur logement. Qu’ils soient confrontés à des fourmis, des coquerelles, des souris, le bruit d’un voisin, un problème de chauffage, des senteurs de tabac, etc., la marche à suivre reste globalement très similaire d’un cas à l’autre.

En tant que deuxième volet d’une série de trois articles, ce billet met l’accent sur les 4 erreurs les plus communes que font les locataires en matière d’insalubrité ou d’insécurité. Vous pouvez d’ailleurs lire ou relire notre premier billet de la série qui abordait les 6 étapes à suivre pour que les locataires fassent valoir leurs droits !

Auteur : Mᵉ David Searle

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

Finalement, les auteurs et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

 Il existe de nombreuses raisons pour ne pas faire valoir correctement ses droits. L’une des plus fréquentes est tout simplement le manque d’information. Ce billet a pour objectif d’aider les locataires à prévenir plutôt que guérir ! Voici donc les 4 pièges à éviter lorsque l’on fait face à un problème d’insalubrité ou d’insécurité.

1. Retenir une partie ou la totalité de son loyer

Il s’agit du piège le plus important à éviter en matière d’insalubrité. Or, plusieurs locataires s’imaginent avoir le droit de retenir leur loyer lorsque des travaux restent à faire dans leur logement.

Étant donné que le bail de logement est un contrat bilatéral (ou « synallagmatique »)[1], il est normal que les locataires considèrent ne pas être obligés de payer pour un logement lorsque le contrat n’est plus respecté par l’autre partie. Cette position est d’autant compréhensible puisque les locateurs ont une obligation de résultat, prévu à l’article 1854, al. 1 du Code civil du Québec (C.c.Q.), qui consiste à permettre aux locataires de « tirer une jouissance paisible de leur logement » et à l’article 1910 C.c.Q., qui les obligent à « délivrer un logement en bon état d’habitabilité » et à « le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail »[2].

Cependant, les locataires qui retiennent leur loyer font fausse route et risquent souvent de perdre leur logement. Ils portent atteinte à une autre obligation de résultat, celle de payer leur loyer[3]. Une jurisprudence constante du Tribunal administratif du logement (ci-après le « TAL ») enseigne que les locataires ne doivent pas employer une telle démarche puisque « l’exception d’inexécution », un concept prévu de façon générale à l’article 1591C.c.Q., ne serait vraisemblablement pas compatible avec le droit du logement.

Face à une telle stratégie adoptée par leurs locataires, plusieurs locateurs demandent (et obtiennent sauf exception) la fin du bail pour non-paiement de loyer. Les décideurs reprochent aux locataires de se « faire justice eux-mêmes » et spécifient qu’ils devaient plutôt intenter leurs propres recours pour obtenir un logement salubre[4]. Une équipe de chercheurs de l’UQÀM ont analysé 123 jugements rendus entre 2014 et 2015 qui soulevaient une telle défense et n’ont trouvé qu’un seul cas où le TAL a accepté une défense de retenue de loyers[5].

2. Refuser sans détour l’augmentation annuelle du loyer

Avant la valse des déménagements du 1er juillet, le Québec locatif est envahi chaque année par de nombreux avis d’augmentation de loyer entre les mois de janvier et mars. C’est en effet entre six et trois mois avant la fin d’un bail que les locateurs peuvent envoyer un avis aux locataires pour augmenter leur loyer.

Ceux et celles qui vivent des conditions d’insalubrité vont souvent refuser leur augmentation. Ça coule de source : pourquoi payer plus cher pour un logement inadéquat ? Le cas échéant, le bal tombe dans le camp des propriétaires, qui ont le choix d’ouvrir une demande au TAL pour faire fixer le loyer, à défaut de quoi il restera inchangé pour l’année à venir.

Or, si une demande est déposée en fixation de loyer, les locataires se voient très souvent confrontés à un procès qui ne porte pas du tout sur la qualité de l’espace habité, mais strictement sur l’application du Règlement sur les critères de fixation de loyer. Il s’agit en réalité d’un exercice de comptabilité pendant lequel les propriétaires présentent des preuves de dépenses au TAL. Le TAL s’assure de la validité et de la pertinence des documents remis et applique les taux prévus par règlement. Plus d’information sur ces calculs se trouve ici.

Bien que le TAL puisse diminuer un loyer si un service a été retranché dans la dernière année (enjeu discuté plus amplement dans ce billet[6]), il ne peut pas en faire autant pour un problème d’insalubrité ou de manque de sécurité dans un logement dans le cadre d’un débat pour la fixation du loyer. Les locataires qui veulent chercher des ordonnances et des compensations pour de tels problèmes doivent passer par les mécanismes détaillés dans le premier billet de cette série.

Les locataires devraient-ils alors accepter leur augmentation de loyer ?

En fait, l’avis d’augmentation présente une occasion favorable pour les locataires d’avoir l’attention entière de leurs locateurs et de faire part de leurs insatisfactions dans le logement. Tant les locataires que les propriétaires veulent éviter de devoir présenter leurs demandes respectives pour insalubrité et fixation du loyer — ils ont typiquement d’autres chats à fouetter ! Miser sur la communication est une excellente démarche, quitte à arriver à une modification raisonnable du loyer et, surtout, de meilleures conditions dans le logement.

3. Faire preuve de trop de patience

Nous sommes tous très occupés. Entre le travail, la famille, les loisirs, Netflix (surtout pas…), etc., rares sont ceux qui ont le temps et l’envie de faire valoir leurs droits. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on parle de locataires plus marginalisés. Dans tous les cas, nombreux sont ceux qui, face à un problème, espèrent que la situation va se régler par elle-même.

Et très souvent, il s’agit de la meilleure stratégie à emprunter. La vie va généralement pour le mieux.

Par contre, nous devons aussi garder en tête que tous les propriétaires ne réagiront pas toujours avec célérité à une plainte, et ce, pour toutes sortes de raison. Ils peuvent être eux-mêmes débordés, manquer les ressources nécessaires pour corriger un problème, manquer de volonté pour mobiliser ces mêmes ressources, ou dans le pire des cas (et heureusement le plus rare), souhaiter faire prolonger l’agonie de leurs locataires afin de forcer leurs départs.

Dans tous les cas, les locataires qui tardent à documenter leurs problèmes, les dénoncer aux propriétaires (verbalement et par écrit), et finalement, de les mettre en demeure vont perdre des droits, comme discuté plus amplement dans notre premier billet. Malheureusement, les locataires qui tardent à revendiquer leurs droits se découragent rapidement lorsqu’ils réalisent tardivement les étapes qu’ils leur restent à compléter pour habiter un logement salubre et sécuritaire. Ils sont alors nombreux à chercher un nouveau logement à plus fort prix.

En résumé, tout ce qui traîne se salit !

4. Abandonner le logement

Un logement insalubre va nécessairement créer un sentiment de détresse chez les locataires. Le besoin de se loger, de dormir et de vivre en sécurité représente des besoins physiologiques qui sont à la base de la pyramide de Maslow. Ainsi, il n’est pas étonnant que, confrontés depuis longtemps à un milieu de vie insalubre, des locataires finissent par jeter l’éponge et abandonner leur logement.

Or, les locataires risquent d’avoir plus de problèmes en abandonnant leur logement en cours de bail.

En soi, l’abandon d’un logement impropre à l’habitation est une mesure tout à fait légale prévue par le Code civil du Québec[7]. Par contre, la jurisprudence constante est à l’effet qu’il s’agit d’une mesure qui ne doit être réservée qu’aux cas d’insalubrité ou de manque de sécurité extrêmes, et dont le fardeau de preuve est imposé aux locataires. Ce passage de Hajjar c Hébert, une décision maintes fois citée en la matière, énonce les critères appliqués par le TAL pour reconnaître un abandon comme étant valide :

« Or, pour réussir sur leurs demandes, les locataires doivent établir par une preuve concrète et prépondérante les éléments suivants : 

1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l’immeuble en général; 

2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur; 

3) l’inaction du locateur à exécuter ses obligations légales; 

4) leur départ est justifié, car le logement était impropre à l’habitation au sens de l’article 1913 C.c.Q. et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise; 

5) la relation de cause à effet entre l’état du logement et les dommages réclamés.[8] »

Si les locataires ne réussissent pas à rencontrer ce fardeau, leur départ est plutôt considéré comme un déguerpissement, soit une résiliation aux torts des locataires[9]. Le cas échéant, ces derniers sont tenus aux loyers perdus par les propriétaires, ainsi que leurs dommages supplémentaires pour remplacer les locataires qui ont déguerpi (typiquement les frais d’annonce de l’unité libérés)[10].

Ainsi, les locataires qui abandonnent un logement sans preuve suffisante de son état d’impropriété à l’habitation se verront revictimisés et devront dédommager leurs propriétaires alors qu’ils ont quitté un logement insalubre !

Heureusement, chers lecteurs, vous ne tomberez pas dans ces 4 pièges tenaces et redoutables.

** Photo tirée des archives de la Ville de Montréal. Accident de voiture au pont de l’Église. – 30 juin 1914. CA M001 VM117-Y-1-P0193

[1] Antoine Morneau-Sénéchal, Le louage résidentiel, Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, à la p 1.

[2] Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e édition éd, Montréal, Wilson et Lafleur, 2013, au para 1598.

[3] Morneau-Sénéchal, supra note 1 à la p 44.

[4] Pierre Gagnon, Louer un logement, Cowansville, Yvon Blais, 2009, aux pp 111‑112.

[5] Martin Gallié, Julie Brunet & Richard-Alexandre Laniel, « Les expulsions pour arriérés de loyer au Québec : un contentieux de masse » (2016) 61:3 McGill Law Journal 611‑664, en ligne: <https://archipel.uqam.ca/10746/>, aux pp 633‑635.

[6] Règlement sur les critères de fixation de loyer, chapitre T-15.01, r. 2, art 8.

[7] Code civil du Québec, chapitre CCQ-1991, arts 1913 et 1915.

[8] Hajjar c Hébert, [1999] JL 316.

[9] Code civil du Québec, supra note 7 art 1975.

[10] Chabot-Fournier c Gagné, 2019 QCRDL 14075 au para 62.

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