Portrait des dommages moraux et diminution de loyer moyens accordés dans le contexte d’un problème de blattes

Auteure: Émilie Forget

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

L’auteure, Émilie Forget, n’est pas avocate au moment de la publication de ce billet et n’est pas autorisée à fournir des avis juridiques. Ce document contient donc une discussion générale sur une question juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, veuillez consulter un.e avocat.e.

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Blattes: Dommages moraux et diminution de loyer

La présence de blattes[2] est une problématique d’insalubrité fréquente qui nuit à la pleine jouissance de l’habitation des locataires aux prises avec celle-ci. La recherche qui suit se veut une évaluation jurisprudentielle de ce que pourrait hypothétiquement obtenir un locataire en matière de réduction de loyer et de dommages moraux pour une situation moyenne que les propriétaires tarderaient indûment à régler.

Droit applicable

Les articles 1854 et 1863 du Code civil du Québec sont les fondements juridiques de la réclamation en baisse de loyer ainsi que les dommages moraux pouvant être octroyés au locataire par le locateur.

 

Détermination de la diminution de loyer et des dommages moraux

Dans l’appréciation de la diminution de loyer, il incombe au locateur de procurer la jouissance paisible des lieux au locataire, et ce, pour toute la durée du bail de logement. Selon l’auteur Denis Lamy, le tribunal analyse l’octroi de cette diminution dans le but de rétablir l’équilibre entre les prestations des parties.[3] Dans son ouvrage sur le louage, Pierre-Gabriel Jobin disait ceci : « Alors que la réduction de loyer vise strictement la diminution de jouissance et a pour but de rétablir l’équilibre entre les prestations respectives des parties, les dommages-intérêts visent toute forme de perte, autre que la diminution de jouissance. »[4] Il ressort, chez Lamy, que l’évaluation de la diminution du loyer doit se faire de manière objective, c’est-à-dire qu’elle ne tiendra pas compte des peurs ou de la perception de la problématique par le locataire et qu’il en sera tout le contraire quant à l’évaluation des dommages moraux.[5] Dans le jugement Lagiorgia c. Roy en 2001[6], le juge Rémillard de la Cour du Québec conclut qu’en effet, il n’existe actuellement aucun barème ou aucune norme que les tribunaux puissent ou doivent consulter pour quantifier objectivement la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation donnée. Ce serait donc en évaluant objectivement, globalement et équitablement que le tribunal tenterait d’évaluer cette diminution de loyer.[7]

En terminant et en ce qui a trait à l’octroi des dommages moraux, les auteurs Beaudoin et Deslauriers sont d’avis que : « Le préjudice moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d’une manière exacte ou même approximative ».[8]

 

Les questions

  1. Quel montant moyen de réduction du loyer est attribuable au locataire lors de la présence de blattes dans son logement?

 

  1. Quel montant moyen en dommages moraux est accordé au locataire pour la présence de blattes dans son logement?

 

Les obstacles de la recherche

Afin de bien comprendre les conclusions de cette recherche, il est important de mentionner qu’il s’agit ici d’explorer une problématique moyenne se présentant dans un logement moyen. En tenant compte du rapport sur le marché du logement de la SCHL au Canada de 2022[9], le coût moyen du logement à Montréal est de 932 $ par mois et le coût d’un logement moyen à Québec est de 945$ par mois. Afin de rendre compte de la réalité des régions périurbaines ou rurales, nous prendrons la moyenne de 938$ avec une latitude de plus ou moins 200$. C’est donc, entre autres, avec cette variable qu’il a été difficile de s’approcher le plus possible de la réalité du locataire moyen. Comme vous pourrez le constater à la lecture des sections suivantes, la problématique de blattes semble moins fréquente dans des logements à prix moyen.

Selon la jurisprudence, la réclamation en réduction de loyer ainsi que pour l’octroi de dommages moraux semble rarement reliée à la seule et unique problématique de blattes. Très souvent, les demandes se combinent avec d’autres éléments comme : l’infestation d’autres vermines, certaines réparations au loyer, de la moisissure, etc.

La réduction moyenne de loyer : 12,35% 

La recherche jurisprudentielle sur les moteurs SOQUIJ et CanLII s’est effectuée avec les termes : Tribunal administratif du logement, réduction de loyer et blattes. Plus d’une soixantaine de décisions ont été étudiées[10]et celles sélectionnées sont celles s’apparentant le plus à une problématique unique de blattes et celles où l’on pouvait facilement isoler le montant octroyé en fonction de la problématique à l’étude. Ce faisant, le montant moyen avancé provient d’un calcul sur 14 décisions, dont 9 présentant uniquement une problématique de blattes.

            Comme mentionnée précédemment, rare est la problématique unique de blatte. Elle se conjugue très souvent avec la présence de punaises de lit ou d’autres problématiques de salubrité. Minoritaires sont les jugements où les pourcentages octroyés sont bien délimités en fonction de la source. Comme dans le jugement Mezuma c. Baltazar en 2014[11], un pourcentage plus élevé que la moyenne, soit de 35% est accordé pour la présence de blattes, mais celui-ci tient compte aussi de la présence de punaises de lit. Plusieurs situations ont ainsi été répertoriées et présentent tout de même des exemples de jurisprudence importants de mention dans de telles situations.[12]

Afin de mieux expliquer l’esprit d’analyse des jugements, la décision Achki c. Pandelis[13] nous offre un exemple récent et bref du raisonnement des juges. Dans cette affaire, le juge évalue le pourcentage de perte locative en fonction de l’espace réellement affecté par la présence de blattes. Le juge administratif énonce: « La preuve, dans le présent dossier, ne permet pas de considérer une perte locative de 50%. Il semble au contraire que les coquerelles étaient surtout concentrées à la cuisine. Pour ce motif, le Tribunal alloue une réduction de loyer de 45 $. »

Dans le but de bien résumer la recherche et la conclusion de 12.35% d’octroi moyen en réduction de loyer, le tableau 1 en annexe présente un résumé de la jurisprudence pertinente retenue pour fin des calculs et le premier graphique quant à lui, représente la fréquence des différents pourcentages octroyés.

 

L’octroi moyen pour dommages moraux : 308 $

Selon la jurisprudence, il apparaît que l’octroi des dommages moraux dans le cas d’une réclamation pour présence de blattes dans un logement locatif se fait uniquement lorsque la preuve démontre une négligence de la part du propriétaire de l’immeuble afin de régler la problématique. Ainsi, dans l’affaire St-Laurent c. Auger[14], le juge administratif conclut :

« Lorsque l’origine de l’infestation ne peut être imputée à la faute du locataire et qu’elle demeure inconnue ou nébuleuse, elle est considérée par la jurisprudence comme imputable à un tiers et la défense de diligence et de moyens raisonnables pris par le locateur pour contrer l’infestation s’avère suffisante pour repousser sa responsabilité. La jurisprudence considère alors qu’il s’agit d’un cas d’application de l’article 1859 du Code civil du Québec qui énonce que le locateur n’est plus tenu de réparer le préjudice qui résulte du trouble de fait qu’un tiers apporte à la jouissance du logement. »

 

Ce serait donc uniquement dans les cas où le locataire fait la démonstration d’une négligence du locateur par prépondérance de preuve que des montants seraient octroyés. Les dommages moraux visent alors à compenser les troubles, les ennuis, les inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.[15] Encore une fois, le graphique 2 en annexe met en lumière la prépondérance des montants octroyés dans les décisions et le tableau 2 offre un résumé des décisions et des motifs d’application des dommages.

 

 

 

ANNEXES

TABLEAU 1 – RÉDUCTION DE LOYER

Décisions Loyer mensuel Autre problématique

Réduction de loyer octroyée

(Blattes uniquement)

Logar c. Pampena, 2019 QCRDL 36971 770 $ Fourmis, plafond, isolation, Chauffage 50 $ / mois (7%)
Libertina Santos c. O.M.H. de Montréal, 2015 CanLII 139818 Modique Punaises de lit, réparations

15%/mois pour trois ans

5%/mois par la suite

Kjelsaas c. Santangelo, 2021 QCTAL 31260 850$ Réparations 10%, soit 85$/mois
Kaburundi c. Mayfare Investments, 2019 QCRDL 27919 730$ Réparations mineures 100$/mois (14%)
Allah c. Coopérative d’habitation Village Cloverdale, 2017 QCRDL 41357 757$ Punaise de lit 30$/mois (4%)
Rimpel c. Tran, 2020 QCTAL 6938 550$ 100$/ mois (19%)
Matte c. Immeubles Courem ltée, 2021 QCTAL 14748 868$ 300$/mois (35%)
Kaur Ghotra c. True North, 2019 QCRDL 22260 (CanLII) 795$ 79.50$ / mois (10%)
Glaude c. Domaine Belmont Sec, 2016 CanLII 115522 465$ 50$/mois (11%)
Noël c. True North, 2019 QCRDL 18262 950$ 15%/mois (610 jours) puis 5%
Lagacé c. Office municipal d’habitation de Québec, 2021 QCTAL 11504 505$ Aucune
Achki c. Pandelis, 2021 QCTAL 8293 (CanLII) 660$ 45$/mois (7%)
Dekpo c. Di Cintio, 2019 QCRDL 25932 599$ 35$ / mois (6%)

Dinardo c. Aguzzi, 2017 QCRDL 388

 

 

795$ 20%

 

TABLEAU 2 – DOMMAGES MORAUX

Décisions Loyer mensuel Autres problématique Dommages moraux octroyés

Raisons invoquées

&

Motifs de la décision

Logar c. Pampena, 2019 QCRDL 36971 770 $ Fourmis, plafond, isolation, Chauffage AUCUN

Invoquée: Troubles et inconvénients

Motif : Preuve non pondérante

Libertina Santos c. O.M.H. de Montréal, 2015 CanLII 139818 Modique Punaises de lit, réparations Sans demande
Kjelsaas c. Santangelo, 2021 QCTAL 31260 850$ Réparations 1000$

Invoquée : Empêchement au sommeil

Motifs de la décision : « les troubles et inconvénients subis ainsi que le stress et l’anxiété qui s’éternisent en raison du problème de blattes »

Kaburundi c. Mayfare Investments, 2019 QCRDL 27919 730$ Réparations mineurs 500$

Motifs de la décision :

« Le locataire a subi du stress et des inconvénients »

*Tient compte de la faute contributoire du locataire

Allah c. Coopérative d’habitation Village Cloverdale, 2017 QCRDL 41357 757$ Punaise de lit AUCUN

Motifs de la décision :

« Ceux-ci ne reposent que sur le témoignage approximatif du locataire et de sa femme et ne sont corroborés par aucune preuve matérielle telle que des preuves médicales, photos, preuves d’échec d’examens, bulletins scolaires »

Rimpel c. Tran, 2020 QCTAL 6938 550$ AUCUN AUCUN demandé
Matte c. Immeubles Courem ltée, 2021 QCTAL 14748 868$ AUCUN

Demande 3000$

Motifs de la décision :

« Il ressort de la preuve que la locatrice a agi immédiatement lorsque la présence de blattes a été dénoncée et qu’elle a fait le nécessaire pour mettre fin à l’infestation »

Kaur Ghotra c. True North, 2019 QCRDL 22260 (CanLII) 795$ AUCUN

Demande 2000$

Motifs de la décision : « la preuve ne révèle aucune négligence de la locatrice à ce stade, bien qu’elle pourrait l’être si la problématique n’est pas résolue. »

 

Glaude c. Domaine Belmont Sec, 2016 CanLII 115522 465$ 200$

Invoquée : Inconfort, ignoré par ses proches

Motifs de la décision : « pour compenser les nombreux troubles et inconvénients décrits par le locataire sur une aussi courte période de temps. Il a décrit de façon convaincante le stress de retrouver ainsi ces insectes fortement indésirables dans son logement et même dans sa nourriture. Ceci affectait son moral et son sommeil et cela l’a sensiblement déstabilisé. »

 

« La preuve reçue n’a pas convaincu le Tribunal que le locateur a été diligent à toutes les époques sinon la problématique aurait été déjà résolue selon toute vraisemblance. »

Noël c. True North, 2019 QCRDL 18262 950$ 500$

Invoquée : En raison de l’inexécution des obligations de la locatrice avec intérêts et frais

 

 

Motifs de la décision

« Le Tribunal en déduit qu’il y a eu faute de la locatrice pouvant engendrer une compensation monétaire en dommages moraux en plus de la diminution demandée. »

 

Lagacé c. Office municipal d’habitation de Québec, 2021 QCTAL 11504 505$ 500$

Invoquée : Demande 1500$

Motifs de la décision

« Il ressort que la locataire a dû laisser ses effets dans des boîtes, cesser de prendre ses repas au logement et subir les visites de l’exterminateur. Le Tribunal accorde donc à la locataire des dommages moraux »

Achki c. Pandelis, 2021 QCTAL 8293 (CanLII) 660$ Sans demande Souligné dans la décision : « Le locataire soulève que le locateur a agi fautivement en ne traitant pas l’immeuble au complet. Cependant, le locataire ne réclame pas de dommages. »
Dekpo c. Di Cintio, 2019 QCRDL 25932 599$ AUCUN

Invoquée : Demande 1000$

Motifs de la décision : « en l’absence de faute de la part du locateur, la demande de dommages moraux est rejetée. »

 

Dinardo c. Aguzzi, 2017 QCRDL 388

 

 

795$ 1000$

Invoquée : décrit la peur et le stress vécu, les items jetés, les chaudrons et l’épicerie transférés dans le logement vacant du haut, le temps passé à laver sans cesse les lieux de même que leurs inquiétudes pour leur enfant alors âgé de 4 ans

Motifs de la décision : « les troubles et inconvénients subis sont sans équivoque »

 

 

** Ruelle et cour arrière du Red Light, 1957, VM94-40_2-090. Archives Ville de Montréal.

[2] Insecte ovale, aplati, aux ailes sans usage ou inexistantes, courant rapidement dans les lieux obscurs et chauds, où il peut proliférer. (Ordre des dictyoptères. Nom usuels cafards, cancrelats.) Dictionnaire Larousse.

[3] Lamy, Denis, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004

[4] Jobin, Pierre-Gabriel, Traité de droit civil: Le Louage, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2e éd., p. 454

[5] Supra note 3 à la page 19

[6] Lagiorgia c. Roy, 2001 CanLII 24400 (QC CQ)

[7] Supra note 3 à la page 19

[8] Baudouin, Jean-Louis et Deslauriers, Patrice, La Responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2003, p. 266.

[9] Enquête sur les logements locatifs, centres urbains : loyers moyens, 2022, SCHL, Canada

[10] 52 décisions sur SOQUIJ et 50 décisions sur CANLII

[11] Mezuma c. Baltazar, 2014 CanLII 122599 (QC RDL)

[12] Voir : Rachid Lumande c. Raamco International Properties Canadian Ltd (R.D.L. 2019-06-13)

2019 QCRDL 20900, un octroi de 35% en réduction de loyer a été accordé par le tribunal, ainsi que 8624$ en dommage moral.

[13] Achki c. Pandelis, 2021 QCTAL 8293 (CanLII)

[14] 2017 QCRDL 36797

[15] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

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