La crise de l’habitation ne cesse de monopoliser les pensées des Québécois. Comment peut-il en être autrement sachant que l’habitation permet de répondre à plusieurs de nos besoins fondamentaux ?

La Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, le nom officiel du projet de loi 31 maintenant sanctionné (et ci-après « la Loi sur l’habitation ») vient porter des changements significatifs en droit locatif au Québec.

Cette série de billets vise à clarifier comment la Loi sur l’habitation affectera cette crise et les droits des Québécois, locataires comme locateurs. Nous analyserons d’abord les modifications qui touchent au loyer (1), suivi de l’éviction, de la démolition et de la reprise (2), des obligations des locateurs de maintenir la salubrité et la sécurité d’un logement (3), de la sous-location et de la cession du bail (4), du logement étudiant (5), ainsi que de divers changements importants d’ordre procédural (6). Seront exclues de l’analyse les modifications plus urbanistiques qui visent à stimuler l’offre en matière locative et qui ne touchent pas directement le droit du logement.

Auteur : Mᵉ David Searle

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

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Au cœur de la crise de l’habitation : Le loyer et la clause G

La crise de l’habitation est en grande partie reliée à la flambée des prix sur le marché locatif. Avec le mécanisme de fixation des loyers au Québec, plusieurs locataires vivent dans des logements au prix relativement abordable lorsque comparés à la moyenne canadienne. Par contre, d’importantes inégalités existent entre locataires, selon leur date d’entrée dans un logement. Le Rapport sur le marché locatif 2024 de la SCHL confirme à cet effet un secret de polichinelle. En 2023, un appartement accueillant de nouveaux locataires a coûté en moyenne 25 % plus cher qu’un logement occupé par des locataires qui ont renouvelé leur bail[1].

Comment cette situation peut-elle s’expliquer ? La réponse est connue de tous, et le législateur a tenté de corriger la situation en misant sur trois stratégies: les nouveaux locataires, les nouveaux logements et le renouvellement des baux.

 

L’enjeu des nouveaux locataires

La source de la disparité entre les loyers payés est bien connue. Nombreux sont les locateurs qui rajustent le loyer d’un appartement au départ de leurs locataires. Ils visent ainsi à obtenir de leurs nouveaux locataires un loyer comparable à celui offert sur le marché.

Or, cette approche est formellement interdite par le Code civil du Québec à l’article 1896 C.c.Q., ainsi qu’à l’article 4 du Règlement sur les formulaires de bail obligatoires et sur les mentions de l’avis au nouveau locataire. À défaut de respecter ces articles, les locataires peuvent invoquer 1950 C.c.Q. pour faire fixer le loyer par le Tribunal administratif du logement (« TAL »), et ce dans de très courts délais de la signature du bail :

1950. Un nouveau locataire ou un sous-locataire peut faire fixer le loyer par le tribunal lorsqu’il paie un loyer supérieur au loyer le moins élevé des 12 mois qui précèdent le début du bail ou, selon le cas, de la sous-location, à moins que ce loyer n’ait déjà été fixé par le tribunal.

La demande doit être présentée dans les 10 jours de la conclusion du bail ou de la sous-location. Elle doit l’être dans les deux mois du début du bail ou de la sous-location lorsqu’elle est présentée par un nouveau locataire ou par un sous-locataire qui n’ont pas reçu du locateur, lors de la conclusion du bail ou de la sous-location, l’avis indiquant le loyer le moins élevé de l’année précédente ; si le locateur a remis un avis comportant une fausse déclaration, la demande doit être présentée dans les deux mois de la connaissance de ce fait.

Même lorsque de nouveaux locataires intègrent un logement, les propriétaires ne peuvent en théorie augmenter le loyer qu’en suivant les règles de fixation prévues au Règlement sur les critères de fixation de loyer[2].

Pourquoi les locateurs réussissent-ils à contourner l’application de cet article ? Plus souvent que non, les locateurs vont omettre de fournir aux nouveaux locataires le loyer payé par l’ancien locataire, en ne remplissant pas la clause G du bail réglementaire fourni par le TAL[3].

 

I. Renforcer la clause G

Au cœur de la fixation du loyer lors de la transition entre deux locataires, la clause G a fait l’objet de nombreuses discussions en commission parlementaire[4]. Reconnaissant son inefficacité, les législateurs ont voulu sévir contre les locateurs qui contournent son application. La solution préconisée ? Permettre l’octroi de dommages-intérêts punitifs contre les locateurs qui font une fausse déclaration ou qui omettent sciemment de compléter cette clause du bail.

Pour atteindre cette fin, l’article 1896 a été amendé de la manière suivante (l’ajout est sous-ligné) :

1896. Le locateur doit, lors de la conclusion du bail, remettre au nouveau locataire un avis indiquant le loyer le plus bas payé au cours des 12 mois précédant le début du bail ou, le cas échéant, le loyer fixé par le tribunal au cours de la même période, ainsi que toute autre mention prescrite par les règlements pris par le gouvernement. Dans le cas où aucun loyer n’a été payé au cours des 12 mois précédant le début du bail, l’avis doit indiquer le dernier loyer payé et la date de celui-ci. Si l’avis comporte une fausse déclaration ou que le locateur omet sciemment de remettre l’avis, le locataire peut demander que le locateur soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.

Il n’est pas tenu à cette obligation lorsque le bail porte sur un logement visé aux articles 1955 à 1956.

Notons que le TAL ne peut pas octroyer des dommages-intérêts punitifs (ici à des locataires) que si la loi le prévoit spécifiquement[5]. En modifiant l’article 1896 C.c.Q., les législateurs créent un nouveau recours contre des locateurs qui ne complètent pas adéquatement la clause G à partir du 21 février de cette année[6].

Les dommages-intérêts punitifs

À titre de rappel, les dommages-intérêts punitifs font exception à la règle de la compensation en droit civil. À la base, les dommages-intérêts compensatoires ne peuvent pas servir à enrichir des demandeurs[7]. À l’inverse, les dommages-intérêts punitifs ont les fonctions suivantes, selon l’auteure Claude Dallaire :

1) une fonction préventive : le tribunal veut « décourager le contrevenant de bafouer de nouveau les droits de la victime [et] donner une leçon aux autres citoyens désirant agir selon des plans similaires » ; 2) une fonction punitive : il « permet au tribunal d’exprimer concrètement son indignation face à la conduite du défendeur » ; 3) une fonction incitative : « les dommages exemplaires étant octroyés à la victime en plus de ses dommages réels, cela a pour effet de l’inciter à effectuer les démarches nécessaires pour faire valoir ses droits devant les tribunaux, avec toutes les dépenses et les inconvénients que cela peut comporter.[8]

Pour terminer sur cette réforme spécifique, notons que les montants octroyés en dommages-intérêts punitifs peuvent prendre une certaine ampleur lorsque les facteurs énumérés à l’article 1621 C.c.Q. font l’objet d’une preuve crédible et convaincante[9].

Illustration

Le 1er mars 2024, un locataire signe un bail. Il aménage en juillet 2024 et, en octobre 2024, constate que la clause G n’a pas été complétée. Ce locataire aura trois (3) ans pour poursuivre sa locatrice et réclamer des dommages-intérêts punitifs[10].

Commentaires

La crise de l’habitation n’aurait pas son ampleur actuelle si les loyers cessaient de monter en flèche. Est-ce que cette réforme saura aplanir la courbe ?

Nous croyons que la réforme à la clause G pourra avoir un impact important, si elle réussit à modifier le comportement des locateurs et locataires. Il faut croire que plus de locateurs compléteront cette partie du bail très souvent laissée vide avant le 21 février 2024. Est-ce que les locataires seront alors plus portés à réclamer un loyer contrôlé lorsqu’ils accèdent à un logement ? L’avenir nous le dira.

Il reste pour le moins très malheureux que le nouvel article 1896 fait recours à un oxymore, en ciblant un locateur qui “omet sciemment de remettre l’avis [indiquant le loyer le plus bas payé au cours des 12 mois]“. Antidote définit le verbe “omettre” comme signifiant “oublier ou négliger (quelque chose, quelqu’un) dans une énumération, une explication, une analyse”. Le Dictionnaire de droit québécois et canadien, quant à lui, définit “sciemment” comme un adverbe qui signifie “de façon délibérée, en toute connaissance de cause.”

Nous estimons que cette formulation maladroite vise vraisemblablement des locateurs qui pourront moins facilement invoquer une ignorance de la loi face à une poursuite. Que l’on pense à des nouveaux propriétaires de logements ou à des propriétaires d’un petit patrimoine immobilier, ces derniers auront probablement plus de faciliter à convaincre un·e juge qu’ils ne connaissaient pas l’existence de la clause du G au moment de la signature du bail pour éviter une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. À l’inverse, des locateurs qui gèrent plus de “portes” depuis plus longtemps auront moins de faciliter à qualifier leur omission d’accidentelle.

** Photo tirée de Wikicommons: https://www.flickr.com/photos/dszpiro/2951355095/sizes/l/

[1] Société canadienne de l’hypothèque et du logement. Rapport sur le marché locatif 2024 : 109.

[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[3] Art. 1895 C.c.Q.; Règlement sur les formulaires de bail obligatoires et sur les mentions de l’avis au nouveau locataire, RLRQ, c.  T-15.01, r. 3.

[4] Dans ses représentations, l’organisme Vivre en ville a milité pour l’adoption d’un registre des loyers. Bien qu’écarté par l’Assemblée nationale dans la version finale de la Loi sur l’habitation, ces représentations ont très probablement influencé l’inclusion de la réforme à l’article 1896. Pour lire le mémoire de cet organisme : https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_192083&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz

[5] Art. 1621 C.c.Q.

[6] Art. 32.1 de la Loi sur l’habitation. L’existence du mécanisme de fixation du loyer lors de la signature du bail prévu à 1950 C.c.Q. faisait en sorte que, sous l’ancienne loi, des locataires ne peuvent vraisemblablement pas obtenir des dommages-intérêts compensatoires contre des locateurs qui n’ont pas respecté l’article 1896 C.c.Q. : Desmanches c. Léger, 2014 CanLII 143482 (QCTAL).

[7] Art. 1607 C.c.Q.

[8] Claude Dallaire, La mise en œuvre de dommages exemplaires sous le régime des chartes, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2003, p. 14-21.

[9] À titre d’exemple, voir Moroz c. Brown-Johnson, 2022 QCTAL 13865.

[10] Art. 2925 C.c.Q.

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