Cette série vulgarise les stratégies concrètes pour faire valoir le droit des locataires à un logement salubre et sécuritaire. Nos deux premiers billets ont traité des 6 étapes pour forcer les travaux dans un logement et des 4 pièges à éviter dans une telle situation.

Mais qu’en est-il des logements se retrouvant dans des états catastrophiques, qui font trop souvent les manchettes ? L’incendie dans le Vieux-Montréal en mars 2023 qui a fait sept morts nous a collectivement rappelé les dangers qui guettent les occupants d’immeubles laissés en ruine. Ce billet vise à mettre en lumière différents acteurs gouvernementaux qui peuvent offrir un soutien supplémentaire aux locataires dans les cas les plus problématiques.

Auteur : Mᵉ David Searle

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

Finalement, les auteurs et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

Des locataires peuvent trouver un soutien essentiellement aux niveaux municipal et provincial. 

Le niveau municipal 

Les municipalités qui se sont dotées de services d’inspection en matière d’habitation ont plusieurs leviers pour assurer la viabilité des logements au Québec, comme mentionné précédemment dans notre premier billet de la série[1]. De plus, les inspecteurs des services d’incendie doivent intervenir en prévention lorsque des immeubles présentent un danger d’incendie pour leurs occupants[2]. Ce sujet fut abordé plus abondamment dans notre webconférence avec la Fondation du Barreau.

À Montréal, les différents services d’inspection en matière d’habitation et d’incendie agissent en grande partie sur la base de signalements. Si une inspection révèle des manquements aux règlements municipaux, l’autorité en question émet généralement un avis de non-conformité aux propriétaires de l’immeuble. Cet avis inclut un délai pour corriger la situation dérogatoire. Plus rarement, la municipalité impose des amendes aux propriétaires[3]. Des travaux correctifs peuvent être entamés par l’autorité municipale aux frais des propriétaires, mais ce pouvoir n’est malheureusement exercé qu’exceptionnellement[4]. Finalement, la municipalité peut également ordonner l’évacuation des occupants lorsque l’insécurité des lieux l’exige[5].

Le niveau provincial

Outre les acteurs du niveau municipal, trois acteurs provinciaux peuvent soutenir les locataires dans des cas plus inquiétants d’insalubrité ou de manque de sécurité.

 I – La Régie du bâtiment du Québec (RBQ)

Qui dit logement, dit bâtiment. Au Québec, la RBQ a entre autres pour mission d’assurer la protection du public et le respect des normes de sécurité[6]. En ce sens, la Régie a adopté un Code de sécurité pour assurer la sécurité des bâtiments, incluant la vaste majorité des immeubles locatifs[7]. Ce code impose des règles à respecter en plusieurs matières, dont la plomberie, l’électricité, le gaz et les ascenseurs[8].

En cas d’urgence en ces matières ou de crainte d’affaissement structural d’un immeuble (par exemple des fissures inquiétantes se manifestant dans les murs), il est primordial de communiquer avec la ligne d’urgence de la RBQ. Les inspecteurs de la RBQ ont le pouvoir, entre autres, d’enquêter, d’ordonner des mesures correctives et l’évacuation d’un immeuble qui présente un danger pour la sécurité ou l’intégrité physique des personnes[9].

De plus, des locataires peuvent craindre que les travaux effectués dans leur immeuble soient exécutés par des travailleurs incompétents. Un entrepreneur et même les propriétaires d’un immeuble ne peuvent faire des travaux sur une résidence locative sans détenir la licence appropriée de la RBQ[10]. À titre d’exemple, une concierge ne peut pas, sans détenir les compétences reconnues par la RBQ, faire des travaux d’électricité dans un bloc-appartement. Les personnes qui exécutent les travaux doivent détenir une licence appropriée. À défaut, la Régie peut ordonner la suspension des travaux qui ont fait l’objet d’une dénonciation par des locataires[11].

II – La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)

Les travailleurs connaissent bien la CNESST. Or, cet organisme peut aussi offrir un secours important pour les locataires qui vivent dans un immeuble qui fait l’objet de rénovations si elles risquent de les exposer à des fibres d’amiante.

Voici comment la CNESST fait état de la situation :

La vente, l’importation et l’utilisation de l’amiante et des produits en contenant sont interdites depuis le 30 décembre 2018 par le gouvernement fédéral. Le règlement fédéral ne s’applique pas aux résidus miniers qui en contiennent, sauf exception. On peut aussi trouver de l’amiante dans des matériaux et des produits datant d’avant son interdiction. Si ces matériaux ou ces produits sont en mauvais état ou s’ils doivent être travaillés ou manipulés, des fibres d’amiante peuvent s’en détacher.

Sur les chantiers de construction, plusieurs tâches peuvent exposer les travailleuses et travailleurs aux poussières d’amiante. Le retrait de revêtements intérieurs (plâtre, crépi, stuc, isolants, etc.) contenant de l’amiante ou le découpage et le perçage de carreaux en vinyle qui en contiennent en sont des exemples.

En établissement, un travailleur peut, par exemple, être exposé à des poussières d’amiante dans une usine de procédés qui utilise des résidus miniers contenant de l’amiante.

L’exposition aux poussières d’amiante peut causer l’amiantose, le mésothéliome, ou le cancer du poumon ou du larynx. Ces maladies peuvent entraîner des troubles respiratoires allant de l’essoufflement à l’effort, à une déficience respiratoire grave.

L’employeur a la responsabilité de mettre en place des mesures préventives. Plusieurs de ces mesures sont exigées en présence de poussières d’amiante, telles que le mouillage des matériaux, un système de ventilation, le confinement de l’aire de travail, le vêtement de protection et le port d’un appareil de protection respiratoire (APR).[12]

 

En l’absence de mesures adéquates, les inspecteurs de la CNESST ordonnent la suspension des travaux dans un immeuble. Les locataires peuvent donc faire appel à la CNESST dans le cadre de sa mission d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs[13]. Bien que son intervention vise à protéger les travailleurs, l’intervention de la CNESST protège également les occupants pour qui les travaux constituent ultimement une menace à leur santé.

III – La santé publique

En dernier lieu, la santé publique peut venir en aide aux locataires dans de graves cas d’insalubrité. Depuis 2020, nous associons indubitablement la santé publique à la gestion de la propagation de virus. Or, les autorités de la santé publique ont comme objectif global de promouvoir et de protéger la santé de la population québécoise[14].

Les agents communautaires de chaque CISSS et CIUSSS peuvent ainsi offrir un soutien aux locataires. Effectivement, ils peuvent agir comme conseillers dans chaque CIUSSS auprès d’autres acteurs gouvernementaux et soutenir les locataires dans leurs causes. Bien que les pouvoirs de ces intervenants restent limités en l’absence d’une menace à la santé publique telle que définie par la loi[15], leur soutien peut représenter un atout considérable pour faire avancer un dossier complexe.

Les défis résiduels

En conclusion, plusieurs organismes gouvernementaux ont comme mandat, directement ou indirectement, d’assurer la sécurité des immeubles et la santé de leurs occupants. Pour autant, les locataires affectés doivent parfois faire preuve de persévérance pour obtenir un soutien adéquat des services publics. Que ça soit le service à la clientèle déficient ou le stress élevé des locataires, plusieurs facteurs militent en défaveur des locataires dans des situations complexes et dangereuses.

Plusieurs baisseront les bras, étant dépassés par les événements difficiles qui se succèdent dans leur vie. Les locataires qui sont soutenus par des proches ou des intervenants des comités logements ont sans doute de meilleures chances de surmonter les obstacles rencontrés. Qui peut vivre dans un logement particulièrement insalubre et procéder seul à des suivis réguliers avec des représentants gouvernementaux ? Pour chercher un soutien communautaire, appelez votre municipalité ou le 211 pour connaître les coordonnées du Comité logement de votre secteur.

Notons en terminant qu’en cas d’insatisfaction persistante ou en cas de doute, il est important de faire appel aux services d’autres intervenants tels que :

  • Le Protecteur du citoyen:  Cet organisme peut venir en aide aux membres du public qui ne sont pas satisfaits des services rendus par des employés de l’administration publique québécoise.
  • L’Ombudsman de Montréal : Cet organisme peut venir en aide aux membres du public qui ne sont pas satisfaits des services rendus par des employés de l’administration publique montréalaise.
  • Dans le doute, les élus.

Bon succès dans vos démarches !

 

** Photo tirée des archives de la Ville de Montréal. Pièce – P030-Y_07-1914-006

[1] À titre d’exemple, à Montréal : Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements (03-096), 2003.

[2] À titre d’exemple, à Montréal : Règlement sur la prévention des incendies (12-005), 2012; Règlement sur le Service de sécurité incendie de Montréal (RCG 12-003), 2012.

[3] Rapport du Vérificateur général de la Ville de Montréal au conseil municipal et au conseil d’agglomération pour l’exercice terminé le 31 décembre 2011, Rapport annuel 2011, Rapport annuel 2011, Vérificateur général de la Ville de Montréal, 2012 aux pp 87‑96. Sur les conséquences néfastes du faible taux de constats d’infraction émis, voir: Martin Gallié et Julie Verrette, « Le parcours judiciaire des victimes d’insalubrité (le cas de la moisissure). » (2020) 13:2 Revue droit et santé de McGill/McGill Journal of Law and Health 181‑254.

[4] Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements (03-096), supra note 2, art 17; Règlement sur le Service de sécurité incendie de Montréal (RCG 12-003), supra note 3, art 12.

[5] Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements (03-096), supra note 2, art 19; Règlement sur le Service de sécurité incendie de Montréal (RCG 12-003), supra note 3, art 10.

[6] Loi sur le bâtiment, chapitre B-11, arts 110, 112(1).

[7] Ibid, arts 29, 31. Tel qu’énuméré à l’article 29 de la loi, le Code de sécurité ne s’applique pas aux cas suivants : «   une maison unifamiliale;   un bâtiment totalement résidentiel de moins de trois étages ou de moins de neuf logements;   un bâtiment d’une catégorie exclue par règlement de la Régie. Toutefois, malgré le premier alinéa, le présent chapitre s’applique à toute résidence privée pour aînés au sens de l’article 346.0.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2). »

[8] « Code de sécurité – Régie du bâtiment du Québec », en ligne: <https://www.rbq.gouv.qc.ca/lois-reglements-et-codes/code-de-construction-et-code-de-securite/code-de-securite/>.

[9] Loi sur le bâtiment, supra note 7, arts 122‑124.

[10] Ibid, arts 46, 48. Pour plus d’information sur les licences de la RBQ : https://www.rbq.gouv.qc.ca/licence/

[11] Ibid, art 124.1.

[12] « Amiante », en ligne: <https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/prevention-securite/identifier-corriger-risques/liste-informations-prevention/amiante>.

[13] Loi sur la santé et la sécurité du travail, S-21, arts 182, 186.

[14] Loi sur la santé publique, S-22, art 1.

[15] Ibid, art 2, al 2; 92 et 96.

 

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