Portrait des dommages moraux et diminution de loyer moyens accordés dans le contexte d’un problème de bruit provenant des voisins

Auteure: Olga Dragutan

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

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L’auteure, Olga Dragutan, n’est pas avocate au moment de la publication de ce billet et n’est pas autorisée à fournir des avis juridiques. Ce document contient donc une discussion générale sur une question juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, veuillez consulter un.e avocat.e.

Finalement, les auteures et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

 

Introduction 

La présente recherche jurisprudentielle avait comme objectif d’établir la moyenne des réductions de loyer (%) et celle des montants en dommages moraux obtenus pour une problématique de bruits provenant des voisins et que les propriétaires auraient tardé à régler. Il ressort de celle-ci une diminution moyenne se situant entre 10 et 15% du loyer mensuel, de même que l’octroi de dommages moraux moyens de 1,500$.

 

Définitions et dispositions légales

Afin de déterminer ce qui constitue des « bruits provenant des voisins », il faut donner une définition au mot « bruit ».

Plusieurs règlements municipaux définissent ce concept. Un exemple parmi d’autres est tiré de l’article 20 du Règlement portant sur les nuisances – (RMH-450) de la municipalité de Salaberry-de-Valleyfield et cité dans Loiselle c. Moise[1] :

« Constitue une nuisance et est prohibé le fait, par le propriétaire, le locataire ou l’occupant d’un immeuble, de faire ou de permettre qu’il soit fait un bruit susceptible de troubler la paix, la tranquillité et le bien-être d’autrui » [2]

L’article 976 du Code civil du Québec nous rappelle que :

« Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

Selon cet article, les bruits qui ne seraient ni exagérés ni n’excèderaient les limites de la tolérance ne  poseraient pas de problèmes et ne seraient généralement pas suffisants, comme motif seul, pour justifier une demande de diminution de loyer et/ou des dommages moraux. Le juge précise, dans l’affaire 9015-7959 Québec Inc. c. Blais, que la jouissance normale des lieux s’apprécie selon le critère de la personne raisonnable, en tenant aussi compte des circonstances [3]. Selon l’article 1860 C.c.Q., le locataire devrait néanmoins se conduire de manière à ne pas nuire aux voisins ou troubler la jouissance normale des autres locataires. 

Puisque c’est le locateur qui doit garantir la jouissance paisible des lieux, le législateur a prévu que cette garantie inclut aussi les troubles causés par d’autres locataires[4].

 

Demande en diminution de loyer

Il y aurait plusieurs critères à retenir dans l’octroi d’une diminution de loyer. D’abord, il faut noter que le locateur a deux types d’obligations envers le locataire : l’obligation de résultat et l’obligation de garantie.

Selon les articles 1854, 1864 et 1910 du Code civil du Québec, l’obligation de résultat inclut l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux pendant la durée du bail, ainsi que de maintenir le logement dans un état propre d’habitation. Les moyens de défense du locateur seraient limités, sauf dans les cas de force majeure[5].

Pour aller plus loin, le deuxième alinéa de l’article 1854 C.c.Q. impose une obligation de garantie, où le débiteur (le locateur) est présumé responsable, sauf s’il y a faute du créancier (locataire), ou si l’inexécution est complètement en dehors de l’obligation assumée[6].

Selon les articles 1851 et 1854 C.c.Q., le locateur a l’obligation de procurer la jouissance du bien à son locataire[7]. Le premier a la responsabilité juridique d’agir de manière à assurer cette jouissance, puisque les deux parties sont liées par un bail[8].

D’après la décision Vachon c. Chen,  afin de demander une diminution de loyer, « la perte de jouissance doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle »[9].

 

Il ressort de la jurisprudence étudiée que le recours en diminution de loyer correspondrait à la perte de la valeur des obligations ou des services qui ne seraient plus offerts par le locateur, en tenant compte des clauses du bail en question.  

 Il ne s’agirait pas ici d’une compensation pour les dommages causés au locataire, mais bien « d’évaluer la part du loyer attribuable au service ou à l’espace non fourni et à diminuer le loyer en conséquence »[10].  Le locataire pourrait donc demander une diminution de loyer dans le cas où il ne prévoirait pas une possibilité de rétablir le service dont il aurait été privé dans un délai raisonnable, procédure qui est permise en vertu des articles 1863, 1865, 1604 C.c.Q.[11].

 Le professeur Deslauriers précise par ailleurs qu’il ne s’agit pas ici d’un moyen de pression ou de représailles, ni visant l’obtention de dommages-intérêts[12].

 

Demande en dommages moraux

 Selon le tribunal, dans l’affaire Éditions Vice-versa inc. c. Aubry, les dommages moraux ne seraient pas accordés de façon automatique et ils devraient être expressément demandés. De plus, ils ne se présumeraient pas, et devraient être prouvés selon les règles de la prépondérance[13].

 « Ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu’a pu éprouver la partie lésée »[14]. C’est difficile à évaluer, mais « le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d’une simple affirmation générale expliquant qu’on a subi un quelconque préjudice », précise le  juge Beaudoin dans la décision Éditions Vice-Versa inc. c. Aubry[15].

 

Résumé de la jurisprudence

 

Mises en garde :

  • Pour la plupart des décisions mentionnées, les bruits provenant des voisins ne constituent pas la seule raison pour la demande en justice. Le plus souvent, ils sont accompagnés par d’autres troubles de voisinage, tels que : le harcèlement, les menaces, la moisissure, la consommation de substances illicites, les problèmes de chauffage, les inondations etc. En effet, dans la plupart des décisions à l’étude, ce n’étaient pas exclusivement les bruits provenant des voisins qui avaient menés le locateur à ouvrir un dossier auprès le Tribunal administratif du logement. La même chose s’applique dans le cas des dommages moraux.
  • Les dommages moraux n’accompagnent pas toujours la demande en diminution de loyer.
  • Parfois les tribunaux utilisent la notion de « dommages moraux » et « dommages-intérêts » de manière interchangeable. Dans la présente note de recherche, seulement les décisions visant la notion précise de « dommages moraux » ont été utilisées.
  • Finalement, la demande en diminution de loyer accompagne souvent une demande en dommages-intérêts et parfois une demande en résiliation du bail.

Voici un résumé de quelques décisions pertinentes ayant permis d’établir une moyenne des réductions de loyer et des dommages moraux octroyés pour une nuisance causée par les bruits.

 

Mundry c. Philie, 2020 QCTAL 10433

 Montant de loyer mensuel : 825 $

Cause : le voisin au-dessus du logement fait du bruit tous les soirs et une grande partie de la nuit

Demande : 825 $ par mois en diminution de loyer, 3,000 $ à titre de dommages moraux

Diminution de loyer accordé : 400 $ par mois, soit 48%

Dommages moraux accordés ? Oui, 1,500 $.

 

Loiselle c. Moise, 2021 QCTAL 5858

 Montant de loyer mensuel : 540 $

Cause : locataire fait du bruit excessif durant le jour ou encore la nuit (écoute la musique à volume élevé, fait de la construction durant la nuit)

Demande : 250 $ en diminution de loyer, 5,000 $ en dommages moraux

Diminution de loyer accordé : 150 $ par mois, soit 28%

Dommages moraux accordés ? Oui, 3,000 $

 

Doré c. Roy, 2014 QCRDL 24510

Montant de loyer mensuel : 675 $

Cause : le voisin en haut fait son lavage à des heures indues, il marche bruyamment lors de ses retours nocturnes etc.

Demande : 10% en diminution de loyer, pas de dommages moraux

Diminution de loyer accordé : 10% par mois

 

N.K. c. Office municipal d’habitation de Montréal (Service de la gestion des logements abordables), 2018 QCRDL 18597

Montant de loyer mensuel : 723 $

Cause : bruit excessif le jour comme la nuit, la musique très forte, les cris, les disputes, les fêtes jusque très tard la nuit et la consommation de drogues illicites

Demande : diminution de loyer de 25%, pas de dommages moraux.

Diminution de loyer accordé : 10%

 

Barry c. Habitations Sherbrooke Forest inc., 2020 QCTAL 10381

Montant de loyer mensuel : 782 $

Cause : bruit excessif des voisins, enfants qui sautent sur le lit, de bruit qui ressemble à du vélo ou de la trottinette et des cognes dans le plancher.

Demande : diminution de loyer de 30%, pas de dommages moraux.

Diminution de loyer accordé : diminution de 62,56 $ par mois, soit environ 8%

 

Weinberger c. Lamarche, 2015 QCRDL 30418

Montant de loyer mensuel : 944 $

Cause : bruit assourdissant, incessant de musique, cris à tue-tête, utilisation constante de la douche, et ce, durant 21 jours

Demande : diminution de loyer de 13% et dommages moraux 7,000 $

Diminution de loyer accordé : 100$ par mois, soit 10%

Dommages moraux accordés : 2,500 $

 

Filiatrault c. Fortier, 2017 QCRDL 4339

Montant de loyer mensuel : 650 $

Cause : voisins qui s’amusaient bruyamment dans la cour avec des amis, nombreuses chicanes entre sa voisine et son conjoint, la musique forte et les basses qui faisaient vibrer son plancher.

Demande : 50% en diminution de loyer, 7,000 $ en dommages moraux, entre autres.

Diminution de loyer accordé : 130 $ par mois, soit 20% diminution de loyer

Dommages moraux accordés? Oui, 500 $

 

Robitaille c. Berthelet, 2022 QCTAL 3722

Montant de loyer mensuel : 585 $

Cause : bruit causé par la musique excessivement forte (son plancher vibre, elle a des palpitations lorsqu’elle entend la musique).

Demande : diminution de loyer de 50 $ par mois, 3,000 $ dommages moraux

Diminution de loyer accordé : 50 $ par mois, soit 8%

Dommages moraux accordés ? Oui, 1,000 $.

 

Goossens c. Tchatchoua, 2021 QCTAL 29048

Montant de loyer mensuel : 1,125 $

Cause : bruits nocturnes excessifs dans les aires communes de l’immeuble suite à la location du logement sur Airbnb.

Demande : diminution de loyer de 40% et dommages moraux nonspécifiés.

Diminution de loyer accordé : 10% diminution de loyer

Dommages moraux accordés ? Oui, 500 $.

 

Caron c. Angell (Angell Internet inc.), 2021 QCTAL 7715

Montant de loyer mensuel : 685 $

Cause : le voisin reçoit énormément de visiteurs, consomme de l’alcool et se chamaille bruyamment avec ces derniers, crie et écoute de la musique très forte.

Demande : diminution de loyer de 30$ par mois, et dommages moraux 3,000 $.

Diminution de loyer accordé : 30 $ par mois, soit 4%

Dommages moraux accordés ? 1,000 $ dommages moraux

 

Conclusion

Selon les décisions à l’étude, les tribunaux ont accordé une diminution de loyer entre 8% – 28%. Le plus souvent, la diminution est d’environ 10% par mois.

Le montant pour les dommages moraux varie entre 500 $ – 3,000 $. Ce montant semble dépendre de la durée de l’inconvénient subi. Il ressort de cette jurisprudence sélectionnée que le montant octroyé dépend fortement du degré de préjudice et non-habitabilité causés par les bruits qui font l’objet de la demande en justice.

Finalement, une demande en diminution de loyer et/ou en dommages moraux n’entraînerait pas automatiquement gain de cause.

 

 

** Photo de couverture: Au Ouimetoscope. 1906. VM6-R3153-2_1204E-036. Archives Ville de Montréal

[1] Loiselle c. Moise, 2021 QCTAL 5858.

[2] NB: même si cette définition se trouve dans le règlement de la Ville de Salaberry-de-Valleyfield, nous pouvons trouver des définitions presque identiques dans les règlements d’autre villes, comme la Ville de Montréal, Ville de Saint-Lazare, Ville de Notre-Dame de l’Île Perrot etc.

[3] 9015-7959 Quebec inc. c. Blais, 2011 QCCS 1793.

[4] Ibid.

[5] Allah c. Coopérative d’habitation Village Cloverdale, 2017 QCRDL 41357.

[6] Vachon c. Chen, 2020 QCRDL 7054.

[7] Placements Sergakis inc. c. Fournier, 2015 QCCQ 9946.

[8] Ibid.

[9] Vachon c. Chen, QCRDL 7054.

[10] Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, no 1225.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Éditions Vice-versa inc. c. Aubry (opinion du juge Beaudoin, dissident), C.A., [1996] R.J.Q. 2137.

[14] Mundry c. Philie, 2020 QCTAL 10433.

[15] Ibid.

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

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