Portrait des chefs d’indemnités et des montants moyens octroyés par la jurisprudence aux locataires dans le contexte de travaux majeurs.

Auteur: Mathieu Brunet, ing.

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

L’auteur, Mathieu Brunet, ing., n’est pas avocat au moment de la publication de ce billet et n’est pas autorisé à fournir des avis juridiques. Ce document contient donc une discussion générale sur une question juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, veuillez consulter un.e avocat.e.

Finalement, les auteures et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

Contexte juridique

Dans un contexte de travaux majeurs, les locataires devront souvent être évacués quelques mois durant les rénovations. Des indemnités prévues à l’article 1923 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») devraient être alors offertes aux locataires en raison de leur évacuation temporaire.  Quels sont les chefs d’indemnités et les montants moyens octroyés par la jurisprudence aux locataires dans ce contexte?

Puisque le Code civil du Québec prévoit un « remboursement des dépenses raisonnables[1] » en guise d’indemnités, il est impossible de répondre à cette question sans un cas d’espèce détaillé. La recherche jurisprudentielle et doctrinale effectuée ainsi que l’état du droit en ce qui concerne les travaux majeurs permettront de dresser un portrait clair de la question. Par la suite, les dispositions et les effets de l’article 1923 C.c.Q. ainsi que les indemnités et leurs modalités seront présentés en tenant compte du jeu de la négociation entre les parties.

 

Démarche

Sur les moteurs de recherches juridiques, les mots énumérés ci-après ont été utilisés pour cibler les jugements pertinents : « Indemnités », « Déménagement », « Rénovations majeures », « Travaux majeurs »   « Améliorations », « Évacuation » et « Temporaire ». Ces mots se retrouvent aux articles 1922 et suivants du C.c.Q. Par la suite, nous avons isolé les articles 1922, 1923 et 1924 C.c.Q dans les moteurs de recherches et également dans le Code civil du Québec annoté[2]. Nous avons décidé de ne pas exclure de jugements datant de plus de vingt ans puisqu’ils présentent des concepts intéressants. Finalement, la démarche a été vérifiée par la doctrine d’auteurs réputés dans le domaine du louage résidentiel.  

L’état du droit en ce qui concerne les travaux majeurs

Définitions

Tout d’abord, il est nécessaire de définir les concepts pertinents compris dans l’expression travaux majeurs[3]. L’article 1922 C.c.Q mentionne une « amélioration » majeure ou une « réparation » majeure. La jurisprudence définit les termes comme suit : L’amélioration est « un ensemble de travaux ou de dépenses faites sur un bien et lui procurant une plus-value ». Il est question ici du caractère agréable et fonctionnel des éléments. La réparation vise « la remise en état de ce qui est détérioré. Il s’agira de corriger les éléments défectueux, de les remplacer ou de les restaurer ». Le terme majeur concerne « ce qui est important, considérable, substantiel ou significatif »[4].

Le caractère non urgent des travaux

Toujours à l’article 1922 C.c.Q, il est mention du caractère non urgent des travaux. La distinction est importante puisqu’elle ne comporte pas les mêmes obligations pour le locateur. Dans le cas d’une urgence[5], le locateur est dispensé de remettre un avis explicatif des travaux au locataire[6]. Voici des exemples de réparations urgentes[7] et nécessaires[8] :

  • Une fuite grave de la toiture
  • Un bris électrique/ Court-circuit
  • Un refoulement d’égout sanitaire
  • Un balcon pourri
  • Une panne de chauffage en hiver
  • La serrure d’entrée défectueuse

Tandis que les travaux majeurs englobent les éléments suivants, sans s’y limiter :

  • Refaire l’isolation
  • Refaire la toiture
  • Changer la cuisine,
  • Rénover la salle de bain et ses accessoires
  • Remplacer les planchers
  • Refaire les escaliers
  • Changer les fenêtres
  • Réparer les fondations
  • Refaire le stationnement
  • Rénover la piscine
  • Transformer le chauffage à l’eau
  •  Refaire l’électricité
  •  Enlever l’amiante

 L’avis prévu à l’article 1923 C.c.Q

L’article 1923 C.c.Q mentionne le contenu de l’avis à remettre au locataire.

         Art. 1923. L’avis indique la nature des travaux, la date à laquelle ils débuteront et l’estimation de leur durée, ainsi que, s’il y a lieu la période d’évacuation nécessaire; il précise aussi, le cas échéant, le montant de l’indemnité offerte, ainsi que toutes autres conditions dans lesquelles s’effectueront les travaux, si elles sont susceptibles de diminuer substantiellement la jouissance des lieux. 

         L’avis doit être donné au moins 10 jours avant la date prévue pour le début des travaux ou, s’il est prévu une période d’évacuation de plus d’une semaine, au moins trois mois avant celle-ci.

Les éléments mentionnés sont essentiels[9] afin de ne pas faire échec à la demande du locateur dans le cas d’une fixation des conditions d’indemnités[10] ou d’une demande de statuer sur l’opportunité d’une évacuation[11]. Le Tribunal est également lié par la description des travaux mentionnés à l’avis. Le propriétaire ne peut pas décider de modifier la portée des travaux sans aviser à nouveau le locataire[12].

Le droit au maintien des lieux

Le droit québécois offre des indemnités au locataire afin d’équilibrer le droit au maintien des lieux du résident et le droit de gérance de l’immeuble du propriétaire. De ce fait, des critères ont été établis par la jurisprudence pour établir le caractère raisonnable des travaux[13]. Ces critères ne sont pas cumulatifs.

  • L’urgence des réparations
    • Ce critère semble appartenir à un autre recours (art 1865 C.c.Q). Cependant, il est retenu dans la jurisprudence récente[14]. Il vise la sécurité, les risques pour le locataire, les avis de non-conformité émis par une autorité, un refus d’assurer[15], etc.
  • La nécessité des travaux
    • Ceci consiste en la conservation de l’immeuble en bon état d’entretien, la fonctionnalité des appareils du logement, etc.
  • L’intérêt des parties
    • Cela vise une plus-value de l’immeuble, une économie des frais d’exploitation du logement, etc.
  • Les inconvénients causés
    • Il y a analyse de la privation des services quotidiens (ex. : électroménagers), la poussière, l’évacuation temporaire, etc.

Les indemnités (modalité et gammes)

Cette section présente un résumé des indemnités minimales et maximales accordées par le tribunal. En effet, le Tableau 1 liste les indemnités prévues à l’article 1923 C.c.Q. Il est évident que plusieurs facteurs peuvent influer sur le montant global à accorder au locataire. Nous notons l’âge avancé[16] du locataire, la surchauffe du marché locatif, la localisation du logement et la possibilité de trouver un logement permettant les animaux domestiques[17]. Il peut également être influencé par la situation « immobilière du propriétaire ». Autrement dit, si le propriétaire possède d’autres logements dans un immeuble différent, il peut proposer au locataire de s’y installer le temps des travaux. Le propriétaire assumera seulement les dépenses raisonnables dues au déménagement.

Le Tableau II reflète cette possibilité. Ce tableau présente les montants moyens accordés en dédommagement par le tribunal. Les montants couvrent les frais de différence de loyer, les frais de déménagement et les frais de débranchement des services publics. À titre d’exemple, dans l’arrêt Sherwood crescent c. Aaron, le locateur offrait deux mois de loyer et 1000$ + taxes en frais de déménagement pour des travaux d’une durée de 14 mois. Les locataires pouvaient alors négocier ces montants. Dans Sherwood crescent c. Aaron, 62 des 65 locataires ont accepté l’entente initiale.

 

Tableau 1 – Liste d’indemnités et leurs montants

INDEMNITÉS

MONTANT MIN.

MONTANT MAX.

1 – Frais d’hébergement dans un hôtel

130$/nuit

Sullivan c Boire

250$/nuit

Fèvre c 9193-7094 Qc inc

2 – Frais de différence de loyer

200$/mois

Collado c Elkabas

700$/mois

Groupe Dumont c. Hussain

3 – Frais pour les repas

0$*

50$/jour (Si Hôtel)

Zed c. 1570-3505 Immobilière

4 – Frais de déménagement

600$/déménagement

1500$ + tx/déménagement Sherwood cresent c. Aaron

5 – Frais d’emballage

0$*

275$

Panet inc. c. Bouchard

6 – Frais d’entreposage

0$*

Zed c. 1570-3505 Immobilière

137$/mois

Panet inc. c. Bouchard

7 – Frais de débranchement des services publics (Électricité, Télé-internet,  Poste)

100$/déménagement

Groupe Dumont c. Hussain

300$

9392-3191 c McClaughlin

8 – Frais de location de meubles

0$*

125$/mois***

9 – Frais pour les inconvénients (autres conditions prévues à l’art 1923 C.c.Q)

0$*

400$

Groupe Dumont c. Hussain

10 – Frais de sécurité

0$*

120$

Zed c. 1570-3505 Immobilière

11 – Frais pour location de voiture

0$**

0$**

Panet inc. c. Bouchard

12 – Frais de garderie ou d’aidant naturel ou frais de transport des enfants

0$*

50$/déménagement

13 – Frais pour les heures travaillées au déménagement

200$

Turcotte c Nadeau

320$

Panet inc. c. Bouchard

14 – Déplacement des biens du locataire reliés à son travail

0$**

Michaud c. Zenteno

0$**

Michaud c. Zenteno

15 – Pertes de revenus

0$**

Gerner c. Infantino

0$**

Gerner c. Infantino

16 – Dommages moraux (Sans faute)

0$**

Présentation Barreau D. Lamy

0$**

Présentation Barreau D. Lamy

Total

200$/mois + 1600$

962$/mois + 4664.25$

*Soit ce frais n’a pas été demandé, soit il n’est pas nécessaire selon la situation.

** Ce frais est rejeté par le tribunal

*** Estimation basée sur http://www.decorustic.com/fr/location-de-meubles

 

D’autres modalités d’indemnisation peuvent être envisagées. Selon l’ampleur des travaux, il est possible d’entreposer les meubles du locataire dans une pièce du logement, dans une autre unité du propriétaire dans le même immeuble ou ailleurs. Il est également possible que le locataire aménage dans ce logis durant les travaux. Cette solution est la moins coûteuse. Si la durée des travaux est d’environ deux mois et moins, il est probable que les parties prenantes ne soient pas en mesure de trouver un logement pour un terme semblable. Il faudra donc que le locataire séjourne dans un hôtel. Cette situation comporte des frais supplémentaires à assumer. Finalement, si la propriétaire ne possède pas d’autres immeubles locatifs, il sera nécessaire de relocaliser le locataire dans un autre logement, comparable à l’appartement du locataire. De ce cas, les frais de différence de loyer seront réduits ou inexistants. 

Tableau II – Résumé des montants moyens accordés en fonction d’une situation

 

Autre logement du propriétaire

Hôtel

Autre logement

Min

1200$

130$/jour + 1200$

200$/mois + 1600$

Max

3000$ + taxes$

300$/jour + 3600$

962$/mois + 4670$

 

Conclusion

En conclusion, l’état du droit en matière de travaux majeurs et la jurisprudence permettent d’établir les chefs d’indemnités et les montants moyens octroyés aux locataires. Malgré que les dispositions de l’article 1923 C.c.Q sont d’ordre public de protection, certains propriétaires pourraient être tentés d’offrir une résiliation de bail au locataire. Ceci s’explique par les frais élevés d’indemnisation. Ces situations sont souvent synonymes d’abus auxquelles le droit québécois ne semble pas offrir de solution.

 Bibliographie

** Image tirée des Archives de la Ville de Montréal: Canalisation du ruisseau Raimbault, 1961. VM117-Y-7_007-038

Législation

Code civil du Québec, RLRQ, c C-1991.

Règlement sur la salubrité et l’entretien des logements, 03-096, Ville de Montréal.

Jurisprudence

9203-7167 Québec inc. c. Falardeau, 2010 QCRDL 23952.

9213-9328 Québec inc. c. Campeau, 2010 QCRDL 125184.

9213-9328 Québec inc c Petiote, 2010 QCRDL 17955, au para 24.

Bercovitch c. Caprera, 1996 QCCQ 178 (REJB 1996-30197).

Bergeron c. 9229-5294 Québec inc., 2015 QCRDL 10860.

Blouin c. Beauséjour, 2010 QCRDL 37299 et 9432-0934Québec inc. c. Izegbu, 2021 QCTAL 16885.

Fèvre c 9193-7094 Qc inc, 2011 QCRDL 111253.

Sherwood Crescent c. Aaron, 2020 QCRDL 16965.

Doctrine

Deslauriers, Jacques, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e édition, 2013, Montréal, Wilson Lafleur.

Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e édition, 1996, Cowansville, Les éditions Yvon Blais.

Morneau-Sénéchal, Antoine, Le louage résidentiel, 2020, Montréal, Wilson Lafleur.

Autres documents

Tribunal administratif du logement, Réparations urgentes et nécessaires, https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/le-logement/reparations-urgentes-et-necessaires, consulté en ligne.

Tribunal administratif du logement, Travaux majeurs, https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/le-logement/travaux-majeurs, consulté en ligne.

Société canadienne d’hypothèques et de logement, Entretien et réparations, https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/consumers/renting-a-home/i-am-renting/maintenance-repairs, consulté en ligne.

 

 

[1] Code civil du Québec, RLRQ, c C-1991 Art. 1922.

[2] Code civil du Québec annoté, RLRQ, c C-1991 sur CAIJ.

[3] https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/le-logement/travaux-majeurs.

[4] 9213-9328 Québec inc. c. Campeau, 2010 QCRDL 125184, au para 41.

[5] Supra note 1, art 1865 C.c.Q.

[6] Sherwood Crescent c. Aaron, 2020 QCRDL 16965, au para 64.

[7] https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/consumers/renting-a-home/i-am-renting/maintenance-repairs.  

[8] https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/le-logement/reparations-urgentes-et-necessaires.

[9] Blouin c. Beauséjour, 2010 QCRDL 37299 et 9432-0934Québec inc. c. Izegbu, 2021 QCTAL 16885.

[10] Supra note 1,art 1927 al. 2 C.c.Q

[11] Ibid, art 1925 al. 2 C.c.Q.

[12] 9213-9328 Québec inc c Petiote, 2010 QCRDL 17955, au para 24.

[13] Bercovitch c. Caprera, 1996 QCCQ 178 (REJB 1996-30197).

[14]Bergeron c. 9229-5294 Québec inc., 2015 QCRDL 10860.

[15] 9203-7167 Québec inc. c. Falardeau, 2010 QCRDL 23952.

[16] Supra note 6.

[17] Fèvre c 9193-7094 Qc inc, 2011 QCRDL 111253.

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

0 Comments

Submit a Comment

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *