Dans quel contexte un justiciable non représenté peut-il s’attendre à un secours de la part du membre du TAL?

L’auteur de ce texte avance que l’obligation du juge administratif d’apporter un secours porte surtout sur une question de preuve ou de procédure, notamment lorsque la partie sans représentant requiert de l’aide pour évaluer adéquatement l’étendue de l’opportunité qui lui est offerte de faire valoir ses moyens.

 

Auteur: Marc-Olivier Goulet

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

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L’auteur, Marc-Olivier Goulet, n’est pas avocat au moment de la publication de ce billet et n’est pas autorisé à fournir des avis juridiques. Ce document contient donc une discussion générale sur une question juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, veuillez consulter un.e avocat.e.

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Table des matières

I. Introduction

  1. Mise en contexte et objectifs
  2. Méthodologie et organisation du texte

II. Un tribunal administratif de droit commun à compétence spécifique

  1. Portrait du TAL
  2. Présentation du devoir de secours

III. Le devoir de secours équitable comme outil pour assurer l’équité procédurale.

  1. L’équité procédurale et le tribunal administratif
  2. La modulation du secours

IV. Application jurisprudentielle

  1. Les outils procéduraux
  2. Les suites du jugement

IV. Conclusion

 

Introduction

    1. Mise en contexte et objectifs

Au Canada, la proportion de justiciables non représentés devant les tribunaux ne cesse d’augmenter[1]. Pour diverses raisons[2], certains individus doivent ou décident de ne pas avoir recours à un avocat et les craintes entourant la procédure contentieuse ressenties par ces personnes agissants seules commencent à être documentées[3]. Le phénomène prend une ampleur particulière dans les litiges tranchés par les membres du TAL. Bien qu’agir seul face aux instances comporte des risques inhérents[4], le législateur a été soucieux d’édicter des articles pour mitiger ces risques et ainsi « assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité »[5] de la justice administrative.

Une de ces mesures est le devoir de secours équitable et impartial (Ci-après « DSEI ») imposé au juge par l’article 63 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[6] (Ci-après « LTAL ») et peut permettre au juge des faits d’apporter une certaine aide aux parties afin de s’assurer qu’elles aient les connaissances requises pour fournir la preuve pertinente au règlement du litige. Cette mesure, qui vise avant tout à assurer l’équité entre les parties, a récemment été abordée dans les causes Lemay c Héroux[7] et Scobici c A & S Immobilier[8] présentées en appel à la Cour du Québec. Cette obligation du décideur administratif est d’ailleurs le plus souvent invoquée après un premier jugement puisqu’enfreindre les règles entourant l’équité ou l’impartialité mène à invalider tout le processus décisionnel[9]. Cependant, bien peu d’auteurs semblent s’interroger sur la portée de ce devoir et les jugements en la matière se limitent à dire si l’arbitre des faits a répondu à ses obligations ou non. Bien que l’équité et l’impartialité sont toujours de mise, la question demeure donc entière : dans quel contexte un justiciable non représenté peut-il s’attendre à un secours de la part du membre du TAL?

L’auteur de ce texte avance que l’obligation du juge administratif d’apporter un secours porte surtout sur une question de preuve ou de procédure, notamment lorsque la partie sans représentant requiert de l’aide pour évaluer adéquatement l’étendue de l’opportunité qui lui est offerte de faire valoir ses moyens.

Ce devoir ne commandera une intervention que dans les cas où une faiblesse individuelle pourrait entrainer une iniquité et avoir un impact sur la motivation de la décision par la pertinence du moyen qui fait défaut. Dans ces cas, le décideur doit évaluer la nécessité d’offrir au justiciable non représenté l’opportunité de demander certaines procédures, notamment la remise ou la citation à comparaitre.

2.  Méthodologie et organisation du texte

D’emblée, analyser ce devoir en contexte de droit du logement requiert une recherche plus globale des principes. Vu la codification des principes de droit administratifs invoqués par l’ajout de dispositions largement similaires dans plusieurs lois dictant la conduite d’instances juridictionnelles[10], des parallèles peuvent être tirés entre une étude reliée à son application au Tribunal administratif du travail au Tribunal administratif du Québec (ci-après « TAL »). La jurisprudence récente issue de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec nous permet cependant de remettre ces notions en contexte au TAL.

En premier lieu, la nature particulière des litiges au TAL mérite d’être abordée. Son statut de tribunal administratif n’est pas anodin et bien que le droit administratif oppose habituellement un administré à l’administration gouvernementale, cette dernière n’est pas partie aux litiges tranchés par les membres du TAL. Pour bien replacer l’enjeu, un portrait sommaire des normes législatives invoquées lors d’un recours et celles établissant comment procéder doit être établi. Le devoir de secours équitable et impartial sera ensuite abordé, l’emphase étant placée sur l’interprétation faite par la Cour du Québec dans sa jurisprudence récente. Les règles entourant la justice naturelle sont aussi prises en compte dans la présente recherche. En second lieu, ce texte étudiera les principes d’équité procédurale et d’impartialité et l’application de ce secours comme outil pour assurer cette équité entre les parties aux expériences, connaissances et moyens inégaux. Malgré des principes bien établis, l’étendue de l’obligation demeure incertaine. En dernière partie, ce texte couvrira l’application de ces principes lors du contrôle effectué par les tribunaux judiciaires des recours alléguant le non-respect de ce devoir.

Un tribunal administratif de droit commun à compétence spécifique

    1. Portrait du TAL

Dans la décision Lareau c Régie du logement, la Cour Supérieure décrit le TAL comme étant un tribunal de droit commun puisqu’il doit appliquer les dispositions du Code civil du Québec relatives aux baux de logements[11]. En accomplissant sa mission, il utilise comme sources principales de droit la LTAL, le Code civil du Québec et bien sûr le bail de logement. Le texte constitutif de la LTAL lui confère la responsabilité spécifique et exclusive de trancher les litiges opposant un locataire au locateur. Le législateur conçoit ces fonctions ainsi :

5. Le tribunal exerce la compétence qui lui est conférée par la présente loi et décide des demandes qui lui sont soumises.

Il est en outre chargé :

(1) De renseigner les locateurs et les locataires sur leurs droits et obligations résultant du bail d’un logement et sur toute matière visée dans la présente loi ;

(2) De favoriser la conciliation entre locateur et locataires ;

[…][12]. »

Lorsqu’il exerce sa compétence, et pour lui permettre de répondre aux obligations inhérentes au pouvoir juridictionnel, le TAL fait appel à diverses lois et règlements, notamment le Règlement sur la procédure devant le tribunal administratif du logement[13], les règlements municipaux applicables et même, à titre supplétif, le Code de procédure civile. S’ajoutent à cette liste les principes qualifiés de justice naturelle, principes en partie codifiés dans la Loi sur la justice administrative (LJA)[14] et dont la Cour du Québec, dans une décision récente sur le DSEI, confirme l’importance capitale pour le système judiciaire dans son ensemble[15] et son lien direct avec ce devoir.

Bref, « toute matière visée dans la présente loi »[16] couvre une myriade de normes, d’enjeux et de détails qui peuvent paraitre si évidents aux initiés et qui représentent autant d’embuches pour les profanes. La crainte pour les parties d’en perdre leur latin semble en un coup d’œil très raisonnable et plusieurs choisissent plutôt de retenir les services d’un avocat si cette option est permise par les procédures particulières du TAL[17]. Comment alors assurer une audience « en toute égalité »[18] pour les personnes qui se retrouvent seules dans l’arène judiciaire? Le devoir de secours équitable et impartial peut leur être alors d’une certaine assistance.

2.  Présentation du devoir de secours

L’article 63 de la LTAL vise à dicter les mesures que peut prendre le juge administratif à l’audience pour aider les parties à faire valoir leurs moyens.

63. Au temps fixé pour l’audition, le membre du Tribunal appelle la cause, constate la présence ou l’absence des parties et procède à l’audition.

Le membre du Tribunal instruit sommairement les parties des règles de preuve et chaque partie expose ses prétentions et présente ses témoins.

Le membre du Tribunal apporte à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.

[…]

Dans la décision Lemay, le juge Thibodeau cite l’interprétation par la Cour d’appel de cette mesure et souligne que le devoir des décideurs administratifs se limite à lui fournir « certaines explications sur le processus et les manières de faire. […] Son intervention consiste simplement à l’instruire de l’essentiel, à le guider de manière générale, et ce, lorsque le besoin s’en fait sentir »[19]. Il ajoute de plus :

« [23] La façon d’apporter un secours équitable et impartial ne peut faire l’objet de principes généraux. L’étendue de ce devoir se détermine au cas par cas, en fonction de la nature de chaque dossier, en considérant les qualités ou faiblesses particulières des parties. Si un manquement à ce devoir lèse l’une des parties dans son droit d’être entendu pleinement, provoquant un impact significatif sur le résultat, il y a matière à revoir la décision. Ce peut être le cas si le régisseur n’explique pas les règles de preuve, entraînant un choix erroné de l’une des parties de ne pas assigner un témoin important. Le devoir du régisseur peut inclure l’obligation de reporter une audition pour permettre à une partie de faire valoir pleinement ses moyens »[20].

[Références omises]

À ce stade, précisons que le critère de l’impact significatif sur le résultat relève du critère pour permettre la révision d’une décision. En deuxième instance, une autre formation ne peut procéder à une nouvelle étude du dossier si, malgré le défaut du juge des faits de répondre à son devoir, le moyen soulevé par le requérant n’a pas d’impact sur le dispositif de la décision attaquée[21]. Ce secours peut cependant mener à instruire sommairement les parties pour qu’elles puissent répondre à leur fardeau de présentation après avoir abordé ce qui pourrait devenir un moyen valable.

Le devoir de secours équitable comme outil pour assurer l’équité procédurale

1. L’équité procédurale et le tribunal administratif

Issus de la common law, les principes de justice naturelle s’appliquent à tous les tribunaux administratifs, bien que parfois de manière mesurée par l’intention du législateur lors de leur constitution. Ces principes se déclinent principalement en deux règles, soit audi alteram partem (le droit de faire valoir ses arguments et son point de vue lorsque les droits d’une partie sont affectés) et nemo judex in sua causa (le droit pour une personne d’être traitée sans préjugés et de manière impartiale)[22]. Qualifiée de règle d’or en droit administratif, le devoir d’équité procédurale s’est développé par l’adaptation de la règle audi alteram partem à la nouvelle réalité administrative des dernières décennies[23]. Elle recouvre une multitude d’obligations et de droits, notamment le droit pour les parties de contre-interroger la preuve et l’obligation du tribunal de permettre aux justiciables de faire valoir leurs moyens[24].

Ces principes de justice naturelle, partiellement codifiés, doivent être respectés à chaque étape du processus de l’instance, et ce, dans tout organisme juridictionnel. L’auteur du Rapport Ouellette sur les tribunaux administratifs s’exprime clairement sur ce sujet :« […] l’obligation de respecter les principes d’équité et de justice naturelle à toutes les étapes du processus décisionnel, avant, pendant et après l’audience. »[25] Sommairement, cette codification impose au tribunal l’obligation d’offrir aux justiciables une audience en pleine égalité et sans préjugé[26], ainsi que de présider un débat loyal et impartial[27]. Selon les articles 10 et 11 de la LJA, le TAL doit mener ces débats de manière « à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction »[28] et dans le respect du droit à être entendu[29]. La balance entre ces deux objectifs est maintenue par le juge administratif en application des articles 12 et 13. Le TAL doit donc délimiter le débat, favoriser la discussion entre les parties, fournir l’occasion de faire valoir et de débattre de ses moyens, apporter un secours aux parties et permettre la représentation dans les cas prévus[30]. Il doit de plus transmettre une décision motivée et écrite lorsqu’elle met fin au débat et toujours dans des termes clairs[31].

La Loi sur la justice administrative vise à « assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité » des tribunaux juridictionnels. L’efficacité de l’instance nous semble donc un objectif central à leur mission. Ce principe ressort implicitement de la volonté du législateur lors d’implantation de tribunaux administratifs, interprétée par l’auteur Garant. Selon lui, la mise par écrit d’une loi constitutive est guidée par la volonté de :

« – retirer aux cours certaines matières particulière ou domaine d’intervention ;

– recourir à des décideurs possédant une expertise spéciale dans certains domaines ;

– faire résoudre des litiges de façons plus expéditive et moins coûteuse ;

– créer un forum juridictionnel où l’intérêt public (public policy) peut être pris en compte et influencer l’adjudication pour permettre un contrôle du bien-fondé des décisions administratives;

– désencombrer les cours des domaines à grand volume de décisions susceptibles d’être contestées parce qu’elles affectent les droits individuels et souvent les droits sociaux ;

– favoriser une révision en profondeur de la décision administrative (a full review of the cases on all its merits) ;

– favoriser l’élaboration d’une jurisprudence appropriée par des tribunaux spécialisés. »[32]

Ce souci d’efficacité imposé par l’intention du législateur pourrait donc servir de motif pour écarter certaines exigences traditionnelles des tribunaux judiciaires et pour leur permettre au décideur administratif de maintenir artificiellement un « juste équilibre entre les participants[33] ». Ce maintien de l’équilibre est la base de l’équité procédurale en contexte de droit administratif et du secours apporté par les juges administratifs.

Dans cette manière d’appliquer le droit et les règles de justice naturelle de manière à en assurer la sanction, les juges administratifs ont la liberté et parfois le devoir de jouer un rôle plus actif dans la recherche de vérité que leurs homologues judiciaires[34]. L’auteur Yves Ouellette écrivait déjà en 1997 que les dispositions incorporant la Loi sur les commissions d’enquête à la législation constitutive d’un tribunal étaient interprétées de manière à habiliter ce rôle plus actif, soit « [à] prendre des initiatives pour requérir des suppléments d’information pertinente, dans le respect des règles de la justice naturelle[35] ». Le pouvoir d’aller chercher la preuve pertinente à sa motivation semblent donc à intensité variable et l’étendue de ce pouvoir doit s’évaluer en fonction des particularités de chaque dossier. Il est de plus limité par une application mesurée des principes issus de la procédure contradictoire ; par l’imposition du devoir d’équité procédurale aux instances juridictionnelles.

2. La modulation du secours

En pratique, l’étendue du devoir semble s’évaluer non pas en fonction de ce qui est raisonnablement compliqué, mais en fonction des forces et faiblesses des personnes qui se présentent devant le décideur. Partant de son expérience comme juge au Tribunal administratif du travail, l’auteur Jean-Pierre Arsenault constate que « [l]e tribunal module ses interventions selon la situation des parties et la complexité du dossier. Il doit alors apprécier le contexte de chaque affaire »[36]. Toujours centrale à la question, l’équité procédurale fait partie de ce contexte que doit apprécier le décideur et pourrait constituer la première limite au secours que peut apporter le juge administratif.

En effet, celui-ci ne peut en aucun cas porter atteinte à l’apparence d’impartialité requise pour préserver la confiance du public dans le système judiciaire[37]. Ce secours devant être apporté « aux parties » selon la LTAL il doit se limiter à guider la personne non représentée pour, « dans le cadre d’un débat loyal et dans le respect de son devoir d’agir de façon impartiale, […] lui permettre d’exprimer complètement et pleinement sa position[38]. » Il pourra alors offrir des avertissements lorsqu’une preuve pertinente est manquante[39], agir en pédagogue[40] et inviter à considérer certaines procédures[41]. En ce sens, le décideur ne peut suggérer des arguments à une partie. Bien que les parties doivent être prêtes à procéder au moment de l’audience, le décideur doit leur permettre de valablement présenter les arguments que les parties sont en mesure de soumettre[42] en soulignant l’importance d’un élément de preuve et leur droit d’aller chercher cette preuve[43].

Le secours semble  également devoir être utile et efficace. Selon la juge Quenneville, ce critère de l’effectivité est la deuxième limite à ce devoir[44] et considère comme facteurs les limites personnelles de la partie non représentée et le lien entre le moyen que pourrait soulever cette partie et la motivation de la décision visant à régler efficacement le litige. La liberté de moduler le secours emporte la possibilité que celui-ci puisse ne pas être nécessaire. La Cour d’appel, de la plume de la juge Bich, exprime judicieusement que ce « serait faire injure à leur intelligence »[45] que d’assumer l’inhabilité de tout justiciable à agir seul en justice.  Dans pareil cas, aucun secours ne serait nécessaire. Il est bien établi que le juge n’a pas à donner un cours de droit[46] et s’étendre sur des discussions légales serait contraire aux objectifs de célérité de la justice administrative. Il est finalement toujours primordial de garder à l’esprit que le caractère recevable d’un moyen demeure distinct de sa valeur persuasive.

Application jurisprudentielle

  1. Les outils procéduraux

Dans la décision Lemay, le juge en appel reproche au régisseur ayant rejeté la demande de rétractation de ne pas aborder la remise d’audience alors que le locataire mentionne la possibilité de faire entendre son mandataire[47]. Le régisseur rejette ensuite l’affaire puisqu’il estime le locataire négligeant[48], n’ayant pas fourni la preuve d’avoir mandaté son avocat criminaliste alors qu’il se retrouve incarcéré deux jours avant l’audience[49]. Le juge Thibodeau reprend la Cour d’appel et souligne qu’une carence dans un élément de preuve fondamental aux motifs du jugement doit être signalée aux parties[50]. Il constate alors que le DSEI du régisseur lui imposait en l’espèce d’offrir l’opportunité au locataire de faire valoir son moyen en lui offrant une remise d’audience puisque le signalement d’une carence sans l’opportunité de pouvoir y remédier ne serait d’aucun secours[51].

L’impact d’un moyen sur la motivation d’une décision peut être central à la question de l’effectivité du secours. La décision Chauve c Théroux[52] abonde dans le même sens. Sans offrir l’étalage des procédures, le juge administratif doit saisir les remarques qui pourraient permettre au justiciable non représenté de faire valoir un moyen et le questionner sur le sujet[53]. Selon cette jurisprudence, ce moyen doit avoir un effet sur la capacité du tribunal à dégager le droit à partir de la preuve à présenter. Cet impact est directement relié à la pertinence de la preuve manquante. Le cadre d’analyse établi par cette règle de droit en matière de preuve peut donc être d’une certaine aide pour évaluer l’effet qu’aura le secours et donc sa nécessité[54]. De ces faits, une preuve sur un fait générateur du droit réclamé pourra commander un secours plus important que la preuve d’un fait incident.

En pratique, la décision Lemay nous informe qu’offrir une remise fait partie de l’arsenal d’outils offerts au décideur. Les explications sommaires sur la procédure pour déposer une preuve également, la citation à comparaître étant nommée. Il se peut cependant que la remise ne soit pas nécessaire. Dans ces cas un juge administratif pourrait cependant devoir autoriser la production de document après l’audience[55], procédure prévue au Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[56]. Plus largement encore, la Commission des lésions professionnelles (devenu depuis le TAT) écrit que « le tribunal peut aussi faciliter à une partie non initiée l’administration d’une preuve complémentaire ou technique permettant de soutenir la démonstration qu’elle a déjà entreprise en lui expliquant comment faire[57] ».

2. Les suites du jugement

Plus récemment dans l’affaire Scobici, la Cour du Québec nous informe sur l’étendue plus large du DSEI et sa relation avec les objectifs de célérité et d’accessibilité de la justice administrative[58]. En l’espèce, la Cour du Québec accueille l’appel d’une décision autorisant la résiliation du bail pour retard de plus de trois semaines. L’audience en question dure cinq minutes[59], mais la locataire parvient tout de même à informer la régisseuse qu’elle s’est présentée avec toutes les sommes demandées[60]. Malgré ce fait, aucun échange sur la question n’a eu lieu avec la locataire pour dégager les enjeux de droit derrière sa situation. Les représentants de la locatrice n’ont pas pris la peine de récolter le loyer dû[61]. Un locataire en défaut de paiement a pourtant la possibilité d’éviter la résiliation du bail en payant le montant réclamé avant la prise de connaissance du jugement[62]. C’est dans ce contexte que la Cour aborde la question supplémentaire de la proportionnalité des procédures judiciaires.

Sans compter les recours hypothétiques subséquents, le juge en appel reconnait qu’il faut parfois « faire preuve de créativité et de réalisme dans l’administration d’une justice expéditive et économique, dans le respect des droits et intérêts des parties »[63], mais l’équilibre entre les différents devoirs du décideur et leur spécialisation leur offre la possibilité de questionner une personne sur les faits qu’elle soulève et ainsi régler l’affaire efficacement dans le respect des droits des parties[64].

Conclusion

Ainsi, selon la doctrine et la jurisprudence étudiées dans le présent document,  le DSEI des juges administratifs doit être mis en pratique dans l’objectif d’assurer une audience respectant les principes de la justice naturelle. Le décideur doit évaluer au cas par cas la nature du secours à apporter et s’il le juge nécessaire, il peut intervenir pour rétablir l’équité entre les parties. Se basant sur les faits qu’il observe, il peut inviter les parties à considérer certaines procédures ou même se retrouver avec l’obligation d’en accepter d’autres. Ce devoir s’appuie sur les principes d’équité procédurale et les interventions doivent être à la fois utiles et engendrer un effet concret sur le litige ou ses suites.

Les pouvoirs accordés aux juges administratifs pour assurer la sanction du droit leur permettent de jouer un rôle plus actif dans la recherche de la vérité. Leur spécialisation leur permet de peser dans la balance et leurs obligations les forcent à jongler avec les intérêts divergents des parties devant eux. Il n’en demeure pas moins que ceux-ci décident sur ce qui leur est présenté. Le contexte ne peut être complet sans une participation active des parties non représentées.

Le justiciable demeure le seul à pouvoir exprimer et prouver ses prétentions, et même une faiblesse particulière personnelle pouvant engendrer le DSEI. Les professionnels aiguillant ou supportant une partie non représentée devraient les encourager à jouer un rôle actif à l’audience du tribunal administratif, à questionner le décideur sur la procédure contentieuse s’ils ne comprennent pas, en raison d’une limitation personnelle, comment partager un fait pertinent au litige.

 

** Photo de couverture: Construction du palais de justice. – 8 août 1966. Photo par Henri Rémillard. VM94-A0322-001. Archives de la Ville de Montréal.

[1] Voir entre autres : Richard-Alexandre Laniel, Alexandra Bahary-Dionne et Emmanuelle Bernheim, « Agir seul en justice: du droit au choix: état de la jurisprudence sur les droits des justiciables non représentés. » (2018) 59:3 C de D 495.

[2] Voir notamment : Emmanuelle Bernheim et Richard-Alexandre Laniel, « Un grain de sable dans l’engrenage du système juridique, les justiciables non représentés : problèmes ou symptômes? » (2013) 31 Windsor YB Acess Just 45.

[3] Emmanuelle Bernheim, Pierre Noreau et Alexandra Bahary-Dionne, « La justice et la non-représentation au carrefour de la localisation sociale » (2021) 36:3 RCDS 405 p 412.

[4] Ménard c Gardner, 2012 QCCA 1546, para 58.

[5] Loi sur la justice administrative, RLRQ c J-3, art 1.

[6] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ c T-15.01.

[7] Lemay c Héroux, 2021 QCCQ 3095.

[8] Scobici c A & S immobilier inc, 2021 QCCQ 3269.

[9] Ibid, para 18.

[10] Voir notamment : Loi sur la justice administrative, supra note 5, art 12; Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 560.

[11] Lareau c Régie du logement, [1999] RJQ 1201, 1999 CanLII 11291 (QC CS), para 9.

[12] Loi sur le tribunal administratif du logement, supra note 6, art 5.

[13] Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, RLRQ c T-15.01, r 5.

[14] Loi sur la justice administrative, supra note 5, arts 9 à 13.

[15] Lemay c Héroux, supra note 7, para 19.

[16] Loi sur le tribunal administratif du logement, supra note 6, art 5, al 2, para 1.

[17] Voir entre autres : Loi sur le tribunal administratif du logement, supra note 6, art 73.

[18] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 23.

[19] Lemay c Héroux, supra note 7, para 22.

[20] Ibid, para 23.

[21] Tribunal administratif du Québec c Godin, [2003] RJQ 2490, para 48.

[22] Patrice Garant, Droit administratif, 7e éd, Montréal, Yvon Blais, 2017.

[23] Ibid. Para ??

[24] Ibid. Para ??

[25] Jean-Pierre Arsenault, « Le débat loyal : chimères, utopies ou idéal atteignable? Une vue de l’intérieur » dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, vol 425, Cowansville, Yvon Blais, 2017, p 185.

[26] Charte des droits et libertés de la personne, art 23.

[27] Loi sur la justice administrative, supra note 5 art 9.

[28] Ibid, art 11.

[29] Ibid, art 10 al 1.

[30] Ibid, art 12.

[31] Ibid, art 13.

[32] Garant, supra note 21.

[33] Ouellette p. 111

[34] Robert c Riberdy, 2011 QCCQ 7065, para 8.

[35] Ouellette p. 109

[36] Jean-Pierre Arsenault, supra note 22, p 183.

[37] Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (procureure générale), 2015 CSC 25, para 22.

[38] Saint-Paul-De-Montminy (Municipalité) c Lavoie, 2022 QCTAQ 06122, para 10.

[39] Martins c Fortin, 2008 QCCQ 9615, para 23.

[40] Ménard c Gardner, supra note 4, para 59.

[41] Martins c Fortin, supra note 24, para 23.

[42] Dubé c Bertrand, 2019 QCCQ 1356, para 22.

[43] Abadi c Martinez Garrido, 2013 QCCQ 1439 para 16.

[44] Ménard c Gardner, supra note 4 au para 59.

[45] Ibid.

[46] Ibid.

[47] Lemay c Héroux, supra note 7, para 23.

[48] Ibid.

[49] Ibid, para 37.

[50] Ibid, para 30.

[51] Ibid, para 31.

[52] Chauve c Théroux, 2010 QCCQ 5558.

[53] Ibid, para 19 et ss.

[54] Voir notamment : Claude Marseille, La règle de la pertinence en droit de la preuve civile québécois, Points de droit, Québec, Yvon Blais, 2004, aux ch 3 et 4.

[55] Desforges c Aubé, 2003 CanLII 13741 (QC CQ), para 13.

[56] Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, supra note 11, art 37 al 1.

[57] 2011 QCCLP 3303, para 105 (requête en révision rejetée).

[58] Scobici c A & S immobilier inc, 2021 QCCQ 3269, para 17.

[59] Ibid, para 2.

[60] Ibid, para 26.

[61] Ibid, para 21.

[62] Code civil du Québec, art. 1883.

[63] Ibid, para 17.

[64] Ibid, para 28.

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

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