Dans cette recherche, nous analyserons les recours juridiques disponibles aux familles qui subissent de la discrimination lors de la recherche d’un logement et offrons un portrait des dommages octroyés par le Tribunal des droits de la personne aux locataires potentiels qui ont subi de la discrimination.

 

Auteures : Anne-Sophie Jacob, Sabine Omar-Agha et Yasmine Merabet

 

Mais d’abord, une mise en garde

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INTRODUCTION

Cette étude vise à analyser les recours juridiques disponibles aux familles qui subissent de la discrimination lors de la recherche d’un logement ainsi que le portrait des dommages octroyés par le Tribunal des droits de la personne aux locataires potentiels qui ont subi de la discrimination.

Dans un premier temps, nous déterminerons s’il y a possibilité de porter plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après: la Commission) en se fondant sur l’un des motifs énumérés sur l’art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après: la Charte). Nous pouvons répondre par l’affirmative, puisque l’état civil comprend le statut de parent, tel qu’il en ressort de la jurisprudence[1]. De plus, l’âge des enfants pourrait également être en cause si ce motif est à l’origine du refus de loger la famille[2]. Dans un tel cas, il serait alors possible de fonder la plainte sur ces deux motifs énumérés à l’art. 10 de la Charte, soit l’âge et l’état civil.

Dans un second temps, nous dresserons un portrait des dommages octroyés par le Tribunal des droits de la personne (ci-après: le Tribunal) aux locataires potentiels qui se voient refuser un logement. Il en ressort des décisions qu’une somme moyenne de 5000$ à 7000$ est octroyée à titre de dommages.

Nous allons à présent analyser ces deux questions en détail.

Est-il possible de se fonder sur un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte pour porter plainte à la CDPDJ ?

Motifs de discrimination: qu’en est-il du statut de parent?

Dans maintes décisions, le Tribunal des droits de la personne a statué que l’état civil dont il est question à l’article 10 comprend le statut de parent[3]. De surcroît, ce statut est protégé, et ce, sans égard au nombre d’enfants[4] ou à l’âge des enfants du parent[5]. Au surplus, lorsque l’âge est à l’origine du refus du locateur, cela consiste en un autre motif de discrimination au sens de l’article 10 de la Charte[6]. L’article 10 de la Charte ne fonde pas un recours à lui seul.

L’arrêt de principe en matière de discrimination est l’arrêt Bombardier rendu par la Cour suprême. Dans celui-ci, la Cour rappelle que « la Charte québécoise ne protège pas le droit à l’égalité en soi; ce droit n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis par la Charte »[7]. En d’autres termes, l’article 10 n’est pas autonome et doit donc être jumelé à un autre article de la Charte. En matière de logement, il faudra recourir à l’article 12, lequel interdit le refus de contracter avec autrui sur des biens et services offerts au public pour des motifs discriminatoires[8].

En effet, d’après la jurisprudence, les logements comptent parmi ces biens et services[9]. Le Tribunal accorde même aux logements une importance particulière, car ils répondent à un besoin fondamental en constituant le socle de la vie familiale[10].

À cet égard, le Tribunal réitère dans l’affaire Tessa, que « le droit de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public, sans être l’objet de discrimination, représente une valeur fondamentale dans notre société »[11]. De même, il est rappelé que le logement est un besoin primaire[12].

De plus, l’article 4 trouve également son application. Celui-ci vise à codifier le droit à la sauvegarde de l’honneur, la dignité et la réputation. Cet article est souvent utilisé de manière analogue à l’article 10 pour fonder le préjudice qui atteint notamment la dignité de l’individu étant donné que la discrimination est humiliante pour les victimes. Nous verrons des exemples tirés de la jurisprudence dans une section subséquente.

Comment déterminer s’il y a discrimination 

Cadre d’analyse de l’arrêt Bombardier : premier volet

 Afin de prouver qu’il a subi de la discrimination, le plaignant doit démontrer trois éléments : (1) une distinction, exclusion ou préférence; (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’art. 10[13]; (3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit et d’une liberté de la personne[14].  Il s’agit là du premier volet, soit de prouver la discrimination prima facie.

  • Premier volet : 1er élément

Traitons d’abord de l’exclusion. À cet égard, « Le Tribunal a reconnu à maintes reprises que le concept d’état civil énoncé à l’article 10 de la Charte inclut le fait d’être parent et qu’un propriétaire d’immeuble à logements ne peut appliquer une politique visant à exclure à titre de locataires, les parents [notamment] d’enfants en bas âge.»[15]

De même, la Cour d’appel a énoncé dans Desroches c. Commission des droits de la personne qu’une politique générale voulant que « trois personnes ne puissent occuper un logement de quatre pièces et demie constitue une pratique discriminatoire indirecte, car elle gêne, par ses effets, l’accès des familles avec enfants. »[16]

L’affaire Isabelle est également pertinente puisqu’elle traite précisément d’un cas d’exclusion sur des motifs discriminatoires[17]. Dans cette affaire, une locataire cherche à céder son bail. Intéressé, M. Isabelle visite l’appartement et remplit un formulaire pour être considéré pour le logement. Ce logement convient parfaitement à sa famille, laquelle est composée de son fils de 10 ans ainsi que sa conjointe d’origine africaine et enceinte. M. Isabelle reste sans réponse. C’est en entamant de nouveau ses recherches, qu’il s’aperçoit que le logement est toujours à louer un mois plus tard. Il appelle donc la locataire pour avoir des explications. Cette dernière lui rapporte que les locataires ont plusieurs critères de sélection visant à exclure  notamment « les Arabes, les homosexuels, les Noirs, les enfants en bas âge »[18]. Le Tribunal retient le témoignage de la cédante et conclut que le locateur a appliqué des critères de sélection qui ont mené à l’exclusion de la candidature de M. Isabelle[19] en raison de son état civil[20].

Dans l’affaire Pageau, il est également question d’un cas d’exclusion basée sur des critères discriminatoires[21]. C’est lors d’un entretien téléphonique que le locateur informe la plaignante qu’il ne veut pas d’enfants dans son logement et lui refuse la visite[22]. À la suite de cet événement, le conjoint de la plaignante rappelle pour avoir un rendez-vous cette fois-ci sans mentionner les enfants, et en obtient un[23]. La preuve de l’exclusion devient d’autant plus évidente après la visite. Alors que le couple était sur le point de conclure la transaction avec le locateur, ce dernier leur demande combien ils ont d’enfants qu’il y a un revirement de situation[24]. Pendant ce temps, l’annonce du logement à louer demeure active -alors que le couple est prêt à louer sur-le-champ[25]– ce qui milite en faveur d’une exclusion de la part du locateur vu la taille de leur ménage. De plus, le logement est finalement loué à quelqu’un qui avait visité le logement après eux[26].

Il convient maintenant de rappeler que non seulement le plaignant a la possibilité d’invoquer une exclusion, mais il peut aussi invoquer une distinction ou une préférence.

Dans l’affaire Tessa, le locateur fait une distinction quant au nombre d’enfants du parent[27]. Ainsi, il acceptera qu’un potentiel locataire puisse louer un logement avec ses deux enfants, mais refusera l’appartement au ménage de M. Tessa en raison de ses trois enfants[28]. Voici les faits de cette affaire : M. Tessa et sa conjointe visitent un logement afin d’y aménager avec leurs trois enfants. La visite se déroulait bien jusqu’à ce qu’il demande au locateur s’il y avait un endroit où ranger les trois bicyclettes de ses enfants. Quelques jours plus tard, il rappelle le locateur, car il a l’intention de louer le logement. Le locateur lui demande d’abord si c’est lui le père des trois enfants, et prétend qu’il est déjà loué. Pourtant, quand M. Tessa passe devant l’immeuble, il voit que la pancarte de l’annonce est toujours affichée. Il décide donc de demander à son ami d’appeler pour demander la disponibilité du logement. Le locateur lui demande d’abord combien d’enfants vont résider avec lui. Lorsque l’ami de monsieur répond qu’il habitera avec ses deux enfants, le locateur répond que le logement est disponible.

Dans l’affaire Taoussi, le locateur se défend en plaidant qu’il ne refuse pas de logement à une famille ayant des enfants, et qu’il s’agit seulement d’une préférence de sa part pour les locataires adultes[29]. Or, le Tribunal rappelle que « l’expression d’une préférence en faveur de locataires sans enfant, en elle-même, constitue une violation […] des droits garantis par la Charte »[30].

 

  • Premier volet : 2e élément 

Il n’est pas nécessaire de démontrer que le refus de louer un logement repose uniquement sur un motif discriminatoire[31]. Le simple fait que le motif ait pu influencer ou contribuer à la décision du locateur donne lieu à un recours[32]

La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Bombardier que : « le demandeur n’est pas tenu de démontrer que le défendeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit »[33]. Dans l’affaire Isabelle, le Tribunal cite l’arrêt Andrews de la Cour suprême pour définir la discrimination, laquelle se caractérise par « une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individu »[34].

Ainsi, il n’est donc pas nécessaire de démontrer que le locateur avait l’intention de discriminer en publiant une annonce interdisant le logement aux familles de plus de quatre personnes, par exemple.

  • Premier volet : 3e élément

En matière de refus de logement, il y aura atteinte à l’exercice des droits protégés par les articles 4 et 12 de la Charte, tel que nous l’avons vu préalablement.

 Quant à l’article 12, nous l’avons vu dans la jurisprudence précitée -plus précisément les affaires Tessa[35], Isabelle[36], Pageau[37], Taoussi[38], Bergeron[39]– que les comportements discriminatoires des locateurs ont fait en sorte de détruire le droit des plaignants à la pleine égalité dans la reconnaissance[40] et l’exercice du droit de se loger.

Traitons maintenant de l’article 4 portant sur le droit à la sauvegarde de la dignité. Il convient d’abord de définir ce en quoi consiste la dignité :

« La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. »[41]

Dans l’affaire Tessa, le Tribunal a conclu que le plaignant a été « choqué et atteint dans ses valeurs quant à l’importance de la famille »[42]. De même, il aurait été « humilié, blessé et l’exclusion exercée sur lui par le défendeur, a porté atteinte à son droit fondamental à la sauvegarde de sa dignité et constitue une discrimination illégale »[43]. Ainsi, le comportement discriminatoire du locateur a eu pour effet de détruire la reconnaissance du droit[44] à la dignité du plaignant, tel que garanti par l’art. 4 de la Charte.

Dans l’affaire Isabelle, le Tribunal conclut à partir de son témoignage que M. Isabelle s’est senti humilié par cette situation. Il y avait également lieu de conclure à l’atteinte de son droit à la dignité par le sentiment d’injustice vécu par ce dernier : « Pourtant, on n’a rien fait de mal. On n’est pas des criminels, on a des bons dossiers de crédit, on est des gens diplômés tous les deux. »[45]

Dans l’affaire Pageau, les plaignants se sont sentis blessés et humiliés par le « caractère d’exclusion des paroles et du comportement des défendeurs »[46]. Il y avait donc lieu de conclure que le comportement du locateur a eu pour effet de détruire le droit à la dignité des plaignants[47].

Dans l’affaire Taoussi, sous la présidence de l’honorable Mario Gervais, le Tribunal estime que le droit au logement s’inscrit même dans la reconnaissance du droit à la dignité[48]. Suivant cette logique, si le locateur refuse le logement pour un motif discriminatoire[49], il y aura donc d’emblée une atteinte à la dignité. Le tribunal a également adopté une analyse semblable dans l’affaire Bergeron[50].

 

Cadre d’analyse de Bombardier : deuxième volet

Lorsque le plaignant réussi à établir la discrimination prima facie[51], le défendeur pourra justifier sa décision sur les motifs d’exemptions prévues dans la Charte québécoise ou celles développées par la jurisprudence[52]. Cela consiste en le deuxième volet de l’analyse.

Dans les cas de refus de logement, comme nous l’avons précédemment mentionné, une atteinte aux droits garantis par les articles 4 et 12 de la Charte est en cause. Ainsi, cela signifie que le défendeur devra justifier sa conduite discriminatoire quant à ces deux articles[53].

Quant à la jurisprudence, dans l’affaire Poirier, le Tribunal affirme que le locateur ne peut justifier le refus de louer un logement à des parents d’enfants en bas âge en raison de mauvaises expériences antérieures[54]. Toutefois, ce passage est repris dans l’affaire Pageau[55], alors qu’il est question d’une famille de trois enfants âgés de 10, 12 et 13 ans. Il est donc possible de croire que le Tribunal est d’avis que le locataire ne peut tenter de se justifier par de mauvaises expériences antérieures, peu importe la caractéristique de la famille, qu’elle soit composée de jeunes enfants ou qu’elle soit nombreuse. Ces mauvaises expériences ne sauraient donc justifier l’atteinte au droit d’éventuels locataires[56], lequel est protégé par l’art. 12 de la Charte.

De même, le locateur ne pourra pas se défendre en plaidant qu’il ne discrimine pas les ménages ayant plusieurs enfants, car il en héberge actuellement ou qu’il en a hébergé dans le passé. Dans l’affaire Pageau, le Tribunal affirme qu’il ne s’agit « […] pas un moyen de défense pertinent aux fins de l’application de la Charte puisque cela ne signifie nullement que la situation présente est semblable »[57]. En l’espèce, le nombre d’enfants pourrait varier et justifier que le locateur ait accepté d’héberger une telle famille.

D’ailleurs, il est depuis longtemps établi par le Tribunal qu’« il peut y avoir discrimination sur un motif énuméré à l’article 10 sans que tous les membres du groupe en soient victimes»[58]. À cet égard, la Cour suprême rédige :

« Il suffit que l’attribution d’une caractéristique du groupe visé à un de ses membres en particulier constitue un facteur du traitement dont il fait l’objet. S’il fallait, pour conclure à la discrimination, que tous les membres du groupe visé soient traités de façon identique, la protection législative contre la discrimination aurait peu ou pas de valeur. En effet, il arrive rarement qu’une mesure discriminatoire soit si nettement exprimée qu’elle s’applique de façon identique à tous les membres du groupe-cible. Dans presque tous les cas de discrimination, la mesure discriminatoire comporte divers éléments de sorte que certains membres du groupe concerné ne sont pas atteints, tout au moins de façon directe, par la mesure discriminatoire. »[59]

La réparation du préjudice

C’est en vertu de l’article 49 alinéa 1 de la Charte qu’une victime de discrimination a droit à la fois à la cessation de l’atteinte illicite en plus d’une réparation du préjudice moral ou matériel qui résulte de celle-ci.[60] Il y a donc deux principales catégories de préjudice qui peuvent d’emblée être réparé. Nous regarderons en détail ces deux catégories en ce qui concerne les cas de discrimination concernant une famille qui se fait refuser la location d’un logement en raison de la présence d’enfants.

La première catégorie, le préjudice matériel, est une atteinte aux droits ou intérêts patrimoniaux d’une personne.[61] Ce sont des conséquences financières que la victime de discrimination peut plus facilement prouver à l’aide de preuve. Il existe certaines situations où des victimes sont allées chercher des dommages matériels. On peut notamment penser à l’affaire Dufresne c. Poirier, où le plaignant demande une « somme supplémentaire qu’a dû débourser le plaignant pour se reloger dans un appartement plus dispendieux »[62]. Il est accordé pour les mêmes raisons dans une autre décision[63]. Une autre raison admise par le tribunal pour accorder les dommages matériels est les « coûts de déplacement supplémentaire encourus par la plaignante en raison du trajet plus long entre son travail et le logement qu’elle a finalement loué »[64]. Donc, le dommage matériel est admis pour ce type de préjudice, mais il est peu soulevé, puisque seulement 23% des plaignants le soulèvent. Il est pertinent de le demander lorsque la victime de discrimination a eu des pertes financières résultant de la discrimination. En faisant la revue de toutes les décisions en la matière, on a calculé que le montant moyen accordé à titre de dommage matériel est de 832$. Le plus élevé ayant été accordé étant 1386$ et le plus faible étant 522$.

La seconde catégorie, le préjudice moral, est l’atteinte aux droits extrapatrimoniaux de la victime[65]. Ils compensent les vexations subies et visent à réduire les tourments, le malaise psychologique, voire l’angoisse résultant du souvenir de l’humiliation infligée, l’atteinte à la dignité[66]. Le préjudice moral est abstrait et difficile à apprécier, mais le tribunal se fie souvent à des montants accordés dans des circonstances similaires pour évaluer ce dernier ou au caractère raisonnable du montant demandé selon le préjudice vécu[67]. Dans le cas de discrimination visant l’état civil ou l’âge des enfants, il est possible de comprendre que des dommages moraux sont accordés pour réparer l’injustice vécue par le parent qui se fait refuser le logement qui correspond aux besoins de sa famille[68], mais également pour le « manque de respect envers les enfants »[69]. Le montant moyen accordé parmi toutes les décisions répertoriées traitant du même sujet est de 3454,55$. Le plus élevé est de 7500$ et le plus faible de 1000$. Il est également possible de remarquer qu’à une seule reprise le tribunal a accordé un montant inférieur à ce qui est demandé par le plaignant, soit dans le cas de Côté c. Bergeron où une femme enceinte s’est vu refuser d’être sur la liste d’attente d’un logement. Elle demandait 3000$ en dommages moraux, mais le tribunal a évalué le dommage moral à seulement 1000$, puisque rien dans la preuve ne démontrait que cela a fait en sorte qu’elle n’ait pas pu louer le logement quand même[70]. C’est également le cas dans l’affaire Deschênes c. Desroches où le tribunal a accordé seulement 500$ des 1000$ demandés comme dommages moraux, puisque le locateur avait tout de même offert un autre logement au demandeur, ce qui démontre sa bonne foi. Cependant, en général, le tribunal accorde les dommages moraux demandés par les plaignants allant même jusqu’à autoriser le montant de 7500$ qui est plutôt élevé comparés à la moyenne[71].

À l’alinéa 2 de l’article 49 de la Charte, nous retrouvons une troisième catégorie de préjudice, soit le préjudice exemplaire ou punitif. Nous remarquons ici que cette catégorie est accordée seulement dans le cas d’une atteinte « illicite et intentionnelle »[72]. Cela a une fonction de prévention et vise à décourager un comportement fautif grave[73]. En effet, ils ne visent pas à compenser un préjudice, ils visent à prévenir[74]. Ici, un point très important est que les dommages punitifs ne peuvent être accordés par le tribunal s’ils ne sont pas préalablement demandés par le plaignant[75]. L’attribution de ce type de dommage est également possible en vertu de l’article 1899 al 2 C.c.Q. Cet  article ne requiert pas la démonstration que l’atteinte est « illicite et intentionnelle » pour pouvoir avoir recours aux dommages punitifs rendant l’attribution de ceux-ci plus facile à avoir. L’article 1899 C.c.Q., de droit commun, évoque le cas où un locataire refuse la location à une femme enceinte ou quelqu’un qui a des enfants pour ce seul motif. La jurisprudence diverge quant à l’attribution des dommages punitifs. Certains utilisent l’article 49 alinéa 2 de la Charte exclusivement sans évoquer l’article 1899 C.c.Q. comme cela a été notamment le cas dans l’affaire Pageau où le tribunal conclut à une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive [du défendeur] et qu’il a agi intentionnellement[76]. Dans d’autres décisions, le tribunal utilise l’article 1899 C.c.Q. pour attribuer des dommages punitifs sans avoir à démontrer que cela ait été intentionnel[77]. Pour ce type de dommages, nous avons une moyenne de 1833,33$ accordé par le tribunal pour des situations similaires avec le montant le plus élevé se situant à 5000$ et le moins élevé à 1000$. Parfois, le tribunal a refusé d’accorder le dommage punitif si le locateur n’avait pas semblé discriminé de manière intentionnelle en suivant exclusivement l’article 49 alinéa 2 de la Charte et non l’article 1899 C.c.Q. comme ce fut le cas dans Taoussi[78]. À une autre reprise, le tribunal a accordé 1000$ plutôt que les 1500$ demandés[79].

Il convient de rappeler que selon l’arrêt Béliveau St-Jacques, une atteinte illicite à un droit conféré par la Charte est assimilée à une faute civile. En effet, le régime de réparation en est un de responsabilité civile et non un régime d’indemnisation parallèle au droit de la réparation civile[80].

Un autre élément important est que le préjudice n’a pas à être exclusivement dû à l’atteinte illicite. Il suffit seulement que l’atteinte contribue au dommage pour que l’auteur de l’atteinte en soit responsable et doive ainsi réparer sa faute[81].

En moyenne, le préjudice global accordé est de 5181,45$ dans une situation similaire. L’affaire Bergeron est celle ayant reçu le plus gros montant, soit 13 022$ et l’affaire Paret c. Pettas, ainsi que Côté c. Bergeron sont celles qui ont reçu le montant le plus faible, soit 2000$ au total.

Au total, nous avons trouvé 19 décisions dont 8 ont été rejetés et 11 accueillies tel que le démontre le graphique suivant :

Nous avons également analysé le montant demandé selon le sexe du parent ou du couple ensemble. Nous avons remarqué une tendance intéressante. Il est possible de remarquer que les hommes seuls qui sont parents d’enfants, soit en garde partagé ou monoparental, obtiennent plus de dommages, car ceux-ci semblent également en demander plus. Les mères monoparentales seules, elles, demandent près de deux fois moins que les hommes en dommages et elles obtiennent également près de deux fois moins de dommages. De plus, les hommes seuls obtiennent et demandent bien plus de dommages que les couples lorsque  nous ajustons les montants par individu.

Nous observons même que les hommes surpassent la moyenne des dommages octroyés, tandis que les femmes et les couples (selon chaque individu) sont en deçà de cette moyenne.

Tableau résumé des dommages octroyés en moyenne dans des cas similaires

Matériels Moraux Punitifs Total
832$ 3454,54$ 1833,33$ 5181,45$

CONCLUSION

À la lumière de notre analyse, nous avons dénombré 19 décisions au total portant sur ce sujet. Par contre, dans certaines des décisions, d’autres motifs édictés par l’art. 10 étaient en cause telle que la race, c’est le cas dans 2 décisions parmi les 19 où en parallèle à l’état civil et à l’âge des enfants, les plaignants étaient également discriminés en raison de la race. Nous avons inclus ces 2 décisions, car elles parlent tout de même de l’état civil.

Par ailleurs, plusieurs décisions rendues par le Tribunal en matière de refus de logement portaient sur des motifs discriminatoires autres que l’état civil et l’âge des enfants. Puisque celles-ci ne répondaient pas adéquatement aux besoins de la question, nous avons donc centré notre analyse sur ces 19 décisions, afin de répondre plus directement à la question.

Parmi ces 19 décisions, 11 ont été accueillies et 8 ont été rejetées. Cependant, il est possible de remarquer que souvent les rejets semblent attribuables à la faute du plaignant dans la majorité des cas, car cela résulte souvent d’une erreur de sa part. Nous avons séparé les tableaux en fonction des décisions accueillies ou rejetées, afin de mieux représenter les données. Nous avons également réalisé un graphique à cet effet.

Quant au tableau des décisions accueillies, nous avons résumé les faits pertinents très brièvement, répertorié les montants demandés et les montants octroyés.

Enfin, nous avons trouvé utile d’analyser le montant demandé selon le sexe du plaignant obtenu grâce à un fichier Excel qui nous a permis de calculer notamment toutes nos moyennes. Nous avons trouvé des données très parlantes à ce sujet que  nous avons  décidé de produire dans deux tableaux distincts.

Finalement, nous avons représenté les montants octroyés en moyenne selon le type de préjudice parmi les décisions accueillies seulement.

 

 

** Photo de couverture: Île d’Orléans (Saint-Pierre) : Portrait de famille / Edgar Gariépy . – [ca 1926]. Cote: CA M001 BM042-Y-1-P0272. Archives de la Ville de Montréal.

 

[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Marleau et une autre) c Landry, 2007 QCTDP 3 au para 31.

[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Isabelle) c Panacci, 2013 QCTDP 28 au para 84.

[3] Taoussi c Taranovskaya Tsarevsky, 2020 QCTDP 7 au para 41.

[4] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bergeron et un autre) c 9020-6376 Québec inc., 2006 QCTDP 19 au para 26.

[5] Supra note 1.

[6] Supra note 2.

[7] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc., [2015] 2 RCS 789 à la p 791.

[8] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 12.

[9] Supra note 4 au para 26 ; Supra note 2 au para 82.

[10] Supra note 3 au para 41.

[11] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Tessa) c Thi Van, [2001] RJQ 2039 au para 29.

[12] Ibid ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pageau et un autre) c Jacques, SOQUIJ AZ-50259479, JE 2004-1520, au para 33. ; Supra note 3 au para 38.

[13] En l’occurrence, l’état civil et l’âge, le cas échéant.

[14] Supra note 7.

[15] Supra note 1 au para 31.

[16] (1997) R.J.Q. 1540 (C.A.); 1997 CanLII 10586 (QC CA).

[17] Supra note 2 au para 102.

[18] Supra note 2 au para 10.

[19] Supra note 2 au para 102.

[20] Supra note 2 au para 104.

[21] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pageau et un autre) c. Jacques, SOQUIJ AZ-50259479, JE 2004-1520 au para 8.

[22] Ibid.

[23] Supra note 21 au para 11.

[24] Supra note 21 au para 44.

[25] Supra note 21 au para 37.

[26] Ibid.

[27] Le statut de parent, qui, rappelons-le, s’inscrit dans le statut civil dont il est question à l’art. 10 de la Charte québécoise.

[28] Supra note 11 au para 11.

[29] Supra note 3 au para 32.

[30] Supra note 3 au para 53.

[31] Supra note 21 au para 42.

[32] Ibid ; Supra note 2 au para 86. 

[33] Supra note 7 au para 40.

[34] Supra note 2 au para 80.

[35] Supra note 11 au para 23.

[36] Supra note 2 au para 104.

[37] Supra note 21 au para 49.

[38] Supra note 3 au para 64.

[39] Supra note 4 aux para 1 et 35.

[40] Supra note 7.  

[41] Supra note 3 au para 48.

[42] Supra note 11 au para 28.

[43] Ibid.

[44] Supra note 7.

[45] Supra note 2 au para 106.

[46] Supra note 21 au para 63.

[47] Supra note 21 au para 65.

[48] Supra note 3 au para 50.

[49] En l’espèce, la taille de la famille.

[50] Supra note 4 aux para 35-36.

[51] À partir des 3 éléments ci-haut mentionnés.

[52] Supra note 7.

[53] Supra note 3 aux paras 46-47.

[54]Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dufresne) c Poirier (TDPQ, 2004-04-15), SOQUIJ AZ-50231657, JE 2004-1016 au para 48.

[55] Supra note 20 au para 41.

[56] Le droit de signer un bail de logement, lequel est un service ordinairement offert au public.

[57] Supra note 21, au para 40.

[58] Supra note 11, au para 25.

[59] Janzen c Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252 aux pp 1288-1289.

[60] Supra note 8, art 49.

[61] Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, JuriBistro eDICTIONNAIRE, édition numérique, Wilson & Lafleur, 2016 « préjudice matériel ».

[62] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dufresne) c Poirier (TDPQ, 2004-04-15), SOQUIJ AZ-50231657, JE 2004-1016 au para 66.

[63] Commission des droits de la personne du Québec (Deschênes) c. Desroches, [1992] JL 105 ; 

[64] Supra note 4 au para 37.

[65] Supra note 61 «préjudice moral».

[66] Barabé c F. Pilon inc., [1987] RJQ 390.

[67] Supra note 2 au para 109.

[68]  Supra note 4 au para 41.

[69] Supra note 62 au para 69.

[70] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Côté) c Bergeron (TDPQ, 2002-01-15), SOQUIJ AZ-50111622, JE 2002-406 au para 23.

[71] Supra note 4 au para 42.

[72]  Supra note 8, art 49.

[73] Henri Brun, Pierre Brun et Fannie Lafontaine, Chartes des droits de la personne : Législation, jurisprudence et doctrine, Collection Alter Ego, 34e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021 au para 49/75.

[74] Ibid au para 49/79.

[75] Développements Iberville Ltée c Téléson Électronique Inc., (1996) RRA 995 (résumé)(CA).

[76] Supra note 21 au para 67.

[77] Supra note 2 au para 111.

[78] Supra note 3 au para 103.

[79] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pichardo) c Thu Do (TDPQ, 2005-03-01), SOQUIJ AZ-50298048, JE 2005-609 au para 45.

[80] Béliveau St-Jacques c Fédération des employées et employés de services publics Inc., (1996) 2 RCS 345 au para 121.

[81] Commission scolaire de la Rivière du Nord et Syndicat des professionnelles et professionnels de l’éducation de Laurentides-Lanaudière (SPPELL), (Sophie Picard), DTE 2015T-240 (TA); 2014 QCTA 1095.

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

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