Analyse jurisprudentielle des causes citant l’article 112.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (qui prévoit une infraction pénale dans certains cas de harcèlement envers un locataire) et des démarches juridiques requises par les locataires pour assurer sa mise en application.

 

Auteure: Elyse Lévesque, LL. B. | M.A. Sc. pol. | candidate au LL. D.

 

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

L’auteure, Elyse Lévesque, n’est pas avocate au moment de la publication de ce billet et n’est pas autorisée à fournir des avis juridiques. Ce document contient donc une discussion générale sur une question juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, veuillez consulter un.e avocat.e.

Finalement, les auteures et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

Table des matières

  1. INTRODUCTION
  2. MÉTHODOLOGIE POUR L’ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE
  3. ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

3.1 Autres dispositions utilisées en priorité

3.2 Disposition utilisée à toutes les sauces

3.3 Quelques exemples d’utilisation de la disposition pénale

  1. LES DISPOSITIONS PÉNALES

4.1 Les dispositions pénales

4.2 Autres instances appliquant des dispositions pénales

LE TAT

LA RACJ

L’OPC

L’OQLF

  1. LE TAL : ÉTAT DES LIEUX ET HISTORIQUE

5.1 L’historique des dispositions pénales du TAL

Le projet de loi 42 (1992)

Bilan de la régie du logement en 1992

  1. RECOMMANDATIONS ET CONCLUSION

 

 

1.     INTRODUCTION

 

Le louage résidentiel est un domaine juridique qui soulève les passions. Objet de spéculation immobilière et foncière pour les uns, il s’agit aussi d’un besoin et d’une nécessité vitale pour les autres. Comment rallier ces deux intérêts opposés d’un point de vue législatif?

 

Dans ce travail, nous nous intéressons aux dispositions pénales comme outils d’encadrement. La Loi sur le tribunal administratif du logement (ci-après « TAL ») comporte 5 dispositions pénales (art. 112 à 115). Ce travail consiste à délimiter l’utilisation réelle et effective de ces articles. Sont-ils utilisés et de quelle manière le sont-ils? La question nous intéresse, puisqu’il n’y a pas d’avenue clairement identifiée dans la loi pour permettre l’utilisation de ces clauses pénales. Nos recherches démontrent pourtant que la Régie du logement (ci-après « Régie ») en était autrefois chargée.

 

D’abord, nous analyserons l’état de la jurisprudence en lien avec les dispositions pénales de la loi sur le TAL. Ensuite, nous établirons les différentes manières de punir une faute en droit québécois et passerons en revue différentes lois afin de voir comment s’appliquent en pratique leurs clauses pénales. Nous poursuivrons ensuite avec l’état de la question concernant le TAL. Finalement, nous proposerons des actions possibles pour améliorer le droit du logement au Québec, en mobilisant ces dispositions pénales.

 

2.     MÉTHODOLOGIE POUR L’ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

 

Dans ce travail, afin d’analyser la jurisprudence concernant les dispositions pénales, nous nous concentrerons sur l’art 112.1 de la Loi sur le TAL :

 

Quiconque, en vue de convertir un immeuble locatif en copropriété divise ou d’évincer un locataire de son logement, use de harcèlement envers celui-ci de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible du logement commet une infraction et est passible d’une amende d’au moins 5 800 $ et d’au plus 28 975 $.

 

Nous avons arrêté notre choix sur cet article, car il est facile à comprendre pour les justiciables non représentés par avocats, qui sont nombreux en matière de logement, et il touche à une question sur laquelle il y a sans conteste des litiges. Aussi, le traitement d’un seul article limite la recherche à effectuer, sans affecter la pertinence du présent exercice qui est voué à identifier si les dispositions pénales sont utilisées.

 

Afin d’analyser cette question, nous avons utilisé la jurisprudence repérée sur le site Canlii concernant l’art. 112.1 de la Loi sur le TAL, ainsi que consulté les sites SOQUIJ et CAIJ, en utilisant les mots clés « 112.1 », « logement », « régie du logement », « Loi sur le tribunal administratif du logement », « Loi sur la régie du logement », « amende ».

 

Il importe de mentionner que la Loi sur le TAL portait le nom de Loi sur la Régie jusqu’au 31 août 2020[1]. Les dispositions pénales sont restées les mêmes. Ainsi, nous avons analysé aussi bien les décisions rendues par le TAL que celles de la Régie.

 

Nous avons également analysé les différentes versions de la Loi sur le TAL et la Loi sur la Régie et les modifications législatives à travers les années. De plus, nous avons lu le Projet de loi modifiant la Loi sur le TAL afin de mieux comprendre les intentions du législateur lors de la dernière réforme de 2020.

 

3.     ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

 

3.1 Autres dispositions utilisées en priorité

 

Toutes les décisions mentionnaient d’autres dispositions relatives aux dommages punitifs et moraux, bien avant de mentionner les dispositions pénales. Les dispositions pénales sont utilisées à des fins de comparaison des montants, et afin d’appuyer la cohérence de la décision.

 

Un passage clé est dans Historia c. Gervais Harding[2] :

 

«  Les débats parlementaires permettent de saisir l’intention du législateur qui, en prévoyant expressément l’octroi de dommages punitifs à l’article 1902 C.c.Q., a cherché, par cette mesure, à adopter le pendant civil au recours pénal contre le locateur de l’article 112.1 de la Loi sur la Régie du logement. Le législateur prévoit ainsi, en matière de bail d’habitation, l’octroi de dommages punitifs en cas de harcèlement de la part du locateur envers un locataire visant à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement, sans que le locataire n’ait à invoquer la Charte québécoise. »

 

Les commentaires du ministre de la Justice concernant le droit nouveau créé en 1994 par l’article 1902 du Code civil du Québec mentionnent :

« Cet article est de droit nouveau. Il vise à empêcher qu’un locataire ne soit victime de harcèlement dans le but de restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement. (…) Il est complété par l’article 1968 et s’inscrit dans la ligne de pensée de l’article 112.1 de la Loi sur la Régie du logement, qui (…) rend passible d’une amende quiconque use de harcèlement envers le locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible du logement (…). »

Ce n’est donc pas dans l’idée de rendre inutilisable ou inutilisée la législation pénale que le Code civil inclut ce nouvel article, mais bien afin de protéger davantage les droits dans le même esprit que les dispositions pénales.

 

3.2 Différents usages de la disposition pénale

 

Selon nos recherches, il n’y a pas de jugement condamnant quiconque à une amende en vertu de l’Article 112.1 de la Loi sur le TAL. D’un côté, les justiciables représentés par avocat utilisent cette disposition de différentes manières, mais sans en arriver à l’octroi d’une amende selon nos recherches. De l’autre, bien souvent les locataires qui tentent de faire valoir leurs droits utilisent cette disposition d’une manière inadéquate. Cela reflète la difficulté à se représenter seul devant le TAL.

 

Selon le congrès du Barreau 2010, de plus en plus de justiciables se représentent seuls, motivés soit par l’économie de coût, par une perte de confiance envers le système, par la difficulté à trouver un avocat acceptant le mandat ou par l’accessibilité de l’information juridique.[3] Par ailleurs, il est avancé par Bernheim et Laniel que l’hermétisme du vocabulaire juridique et la complexité des règles procédurales constituent des barrières pratiquement impossibles à franchir pour les non-initiés[4]. En voilà une belle preuve avec l’utilisation de cette disposition pénale.

 

3.3 Quelques exemples d’utilisation de la disposition pénale

 

Dans le jugement Jabre c. Caprera[5], on mentionne que le locataire extrapole en affirmant que la Cour doit d’office lui accorder des dommages punitifs à cause de l’art. 112.1 de la Loi. « La Cour d’appel souligne plutôt que cet article de loi est le pendant pénal démontrant l’intention du législateur lorsqu’il a créé le pendant civil de ce principe à l’article 1902 du Code civil. » Le locataire en l’espèce est qualifié de quérulent.

 

Dans Tichit c. Du Bocage Copropriétés[6], les locataires ont produit à l’audience une lettre-pétition illustrant les prétentions des locataires demandeurs : « nous vous exigeons un dédommagement de 11 600 $ par locataire comme le permet la Régie du Logement selon l’article 112.1 fixant le dédommagement pour harcèlement à un minimum de 5 800 $ et un maximum de 28 975 $ par locataire ». La disposition pénale n’est pas retenue par le juge.

 

Dans la cause Prévost c. Gagnon,[7] « [l]a locataire réclame 3 500 $ de dommages moraux, 4 000 $ de dommages punitifs, 7 000 $ d’amende selon l’art. 112.1 de la Loi sur la régie du logement ». Cependant, la décision commune du versement d’une somme globale de 11 000 $ par le locateur, sans admission de responsabilité, ne permet pas de conclure à l’utilisation effective de la clause pénale.

 

Dans une demande pour permission d’appeler[8], un locataire « reproche à la régisseuse de ne pas avoir condamné monsieur Patry à des amendes pour fausse déclaration et harcèlement (art.112.1 et 114 L.R.L.) ». Malgré cela, la requête est rejetée.

 

Dans l’affaire Obadia[9], souvent citée, la Régie détermine des barèmes pour l’octroi de dommages moraux. Elle mentionne que l’évaluation de ces dommages est un défi important, compte tenu de la jurisprudence vaste et large. Le tribunal met alors en parallèle la disposition pénale et la sanction civile punitive qui serait acceptable. Toutefois, notons que les barèmes monétaires de ces articles n’ont pratiquement pas changé depuis 1979.

 

4.     LES DISPOSITIONS PÉNALES

 

Face à un non-respect de la loi, il existe différentes avenues pour condamner un fautif. Si l’acte est criminel, il s’agira d’une poursuite criminelle. Si la faute découle du droit civil, la poursuite sera intentée en tribunal de droit civil par l’individu ou son avocat et le fautif pourrait se voir imposer des dédommagements matériels, moraux ou punitifs. Si le geste est plutôt sanctionné au niveau pénal, un constat d’infraction doit être remis et pourra être contesté devant la Cour, qui tranchera l’affaire.

 

4.1 Les dispositions pénales

 

Certaines lois comportent des dispositions pénales. Celles-ci sont régies par le Code de procédure pénale. La personne ou l’organisme chargé de l’application d’une loi et de la délivrance des constats d’infraction en sera chargé selon la loi (Art. 62 du Code de procédure pénale). Pour certaines matières, elles seront traitées par les agents de la paix, selon l’article 48 de la Loi sur la police. Pour d’autres, il y a des inspecteurs. Si aucune loi ne mentionne la manière de faire, il reste la possibilité d’en saisir le procureur général par une poursuite privée (art. 9 par. 3, 10, 144, 146, 156, 157, 174 et ss. du Code de procédure pénale ou art. 504, 507.1, 574(3), 579 et 579.01 du Code criminel).

 

Les plaintes privées ont peu de succès dans la jurisprudence lorsqu’il s’agit de droit criminel. Dans le jugement Andraos[10], une avocate sur la demande de son client signe une dénonciation dans le but d’obtenir un mandat de perquisition via une poursuite privée, même si les policiers ont déterminé qu’il n’y avait pas motif pour des accusations. Cette demande est refusée par la Cour, qui précise que :

 

« Le droit criminel canadien, droit public, limite grandement la possibilité de « plaintes privées » (par. 31) (…) La possibilité que des « poursuivants privés », sans aucune formation, expérience et obligation de rendre compte, puissent s’improviser enquêteurs et demander des ordonnances intrusives sous l’empire du Code criminel pourrait conduire à des abus, malgré la participation d’un juge pour assurer un filtrage. (par. 42)

 

Toutefois, en termes de procédure pénale, le jugement Théodore c. Savard-Déry[11] de la Cour municipale démontre qu’il est possible d’introduire un constat d’infraction en tant que citoyen, mais qu’il est ardu d’en arriver à une conclusion satisfaisante. En effet, le poursuivant privé dans cette affaire reproche à un agent de police de ne pas avoir respecté le Code de la sécurité routière. Le poursuivant n’a pas respecté les normes requises pour le constat d’infraction, mais le constat n’est pas jugé nul pour autant. L’intérêt du poursuivant en matière d’infraction est également analysé et bien que Théodore soit hostile aux forces de l’ordre, l’intérêt est jugé acceptable. Il obtient donc ce statut de poursuivant privé (art. 9 par. 3 du Code de procédure pénale). Toutefois, la cause ne sera jamais entendue puisque le poursuivant a subséquemment publié des messages haineux sur Facebook, causant un arrêt des procédures. Théodore a appelé du jugement, qui a été maintenu (appel rejeté). Reconnaissant que les poursuivants privés ne soient pas tenus au même niveau de retenue que les poursuivants publics, ces propos injurieux ont toutefois été jugés suffisants pour faire avorter l’affaire[12]. Aucune autre jurisprudence d’un poursuivant privé en matière pénale n’a été repérée dans nos recherches.

 

4.2 Autres instances appliquant des dispositions pénales

 

Puisque la Loi sur le TAL comporte des dispositions pénales, nous souhaitons maintenant analyser les différentes manières d’appliquer ce genre d’article dans le droit québécois. Nous retenons dans cette analyse sommaire et incomplète les pénalités portant sur le travail, l’alcool, la consommation, la langue française.

 

LE TAT

 

Le Tribunal administratif du travail (TAT), via la Commission des normes, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), exécute les dispositions de la Loi sur les normes du travail (LNT), de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP) et de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST). Un point important à souligner est qu’il existe des présomptions en faveur du travailleur, qui rééquilibre le rapport de force. Cela n’existe pas dans la La loi sur le TAL, mais pourrait représenter une voie intéressante (art. 239 LSST). Par ailleurs, un mécanisme de poursuite pénale intenté par la Commission est prévu (art. 242 LSST). Les amendes récoltées renflouent le Fonds de la santé et de la sécurité du travail (art. 246 LSST). La commission perçoit également des sommes des employeurs pour l’application de la Loi (art. 247 LSST).

 

LA RACJ

 

La Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) surveille les permis et activités encadrant la vente d’alcool, entre autres. Elle est à même de faire enquête sur les infractions en matière de boissons alcooliques (LIMBA), d’octroyer ou de retirer des permis, de faire des inspections et des vérifications, mais c’est la Sécurité publique (les corps de police) qui est responsable de délivrer des amendes concernant les activités illégales des consommateurs ou des entreprises (art. 193 LIMBA).

 

L’OPC

 

L’Office de protection du consommateur (OPC) est institué par la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Elle surveille l’application de la Loi et délivre ou non différents permis à des commerçants (agents de voyages, commerçants itinérants, agents de recouvrement, studios de santé, etc.), afin de protéger les consommateurs (art. 292 LPC). Les recours pour contester une décision se font devant le Tribunal administratif du Québec (art. 339 LPC).

 

L’OPC s’occupe aussi de traiter les plaintes de tous les consommateurs, toute matière de consommation confondue. À l’instar de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), l’OPC peut intenter des recours judiciaires contre des commerçants commettant des infractions graves ou récidivistes. En somme, le client qui se voit floué par un commerçant qui n’a pas encore de dossier risque de devoir se défendre seul, mais le mécanisme de surveillance permet à l’OPC de se saisir d’une affaire d’intérêt public. L’OPC peut également envoyer des avertissements, obtenir un engagement volontaire du commerçant, obtenir une injonction et/ou retirer un permis. Les poursuites pénales peuvent aussi être intentées par les municipalités (art. 290.2 LPC).

 

L’OQLF

 

L’Office québécois de la langue française (OQLF) embauche des inspecteurs qui inspectent, déterminent des contraventions à la Charte de la langue française (CLF) et demandent des changements pour se conformer à la Loi. Lorsque l’Office conclut qu’il y a contravention, il mettra en demeure le contrevenant de se conformer à la loi. Ensuite, s’il y a défaut, c’est le Directeur des poursuites criminelles et pénales, ou la personne autorisée, qui intente les poursuites pénales (art. 177 et 207 CLF). Toutefois, pour certaines pénalités (78.1, 78.2, 78.3 et 176), il n’y aura pas de mise en demeure préalable (art. 177 al. 2 CLF). De plus, les condamnations sont répertoriées par l’Office, ce qui permet des amendes plus salées pour les récidivistes.

 

5.     LE TAL : ÉTAT DES LIEUX ET HISTORIQUE

 

La compétence du TAL comprend l’information, la conciliation, les études et les statistiques, et la publication du recueil de décisions rendues (art. 5 de la Loi sur le TAL). Pour toutes demandes, les locataires ou locateurs qui comptent faire valoir leurs droits et sanctionner les manquements concernant le logement doivent donc introduire un recours au Tribunal. Aucun processus de plainte, de surveillance, d’enquête ou de permis n’est en place.

 

Le demandeur doit effectuer lui-même des démarches judiciaires complexes, telles que la rédaction de la demande introductive d’instance et la notification au défendeur (art. 56 de la Loi sur le TAL), le dépôt de la preuve de notification et des pièces de preuve au tribunal (art. 56.2 de la Loi sur le TAL). Il peut en outre être convié à une conférence de gestion (art. 56.5 LTAL). De plus, si le litige ne dépasse par 15 000$, les parties doivent se représenter seules et ne peuvent pas faire appel aux services d’un avocat (art. 73 de la Loi sur le TAL).

 

Dans ce contexte de lourdeur pour le demandeur non-initié à la justice, on peut se demander pourquoi le processus pénal est absent.

 

5.1 L’historique des dispositions pénales du TAL

 

Dans la section des dispositions pénales de la Loi sur le TAL, les articles 112 à 115 n’ont pas subi de modifications significatives au cours des années. Toutefois, l’article 116 a été abrogé en 1992[13] : 

 

  1. Les poursuites pour infraction à la présente loi sont intentées par la Régie ou par une personne qu’elle désigne généralement ou spécialement à cette fin.

Toutefois, les poursuites pour infraction à l’article 112.1 de la présente loi et à l’article 1665 du Code civil sont intentées par le Procureur général ou toute personne qu’il autorise généralement ou spécialement à cette fin.

 

Lors de sa création, cette instance pouvait donc intenter des poursuites et a perdu cette vocation en 1992, par l’entremise du Projet de loi 42 qui a mené à la sanction de la Loi concernant l’application de certaines dispositions du code de procédure pénale et modifiant diverses dispositions législatives[14]. Afin de comprendre la raison pour laquelle la Régie a perdu cette compétence, nous nous sommes rapportés au projet de loi et au journal des débats.

 

Le projet de loi 42 (1992)

 

Le projet de loi 42 de Daniel Johnson (déposé le 19 juin 1992) est un ensemble de dispositions modifiant ou supprimant des articles des lois publiques qui deviennent incompatibles, désuètes ou redondantes compte tenu de la réforme du Code de procédure pénale (1989).

 

On note dans le journal des débats du 1er décembre 1992, lors de l’adoption du principe, que l’intention de cette loi est entre autres d’uniformiser la manière d’intenter une poursuite pénale, par le constat d’infraction décrivant l’infraction reprochée et remis par l’administration ou le policier. On compare cela aux constats déjà existants en ce qui a trait au Code de la sécurité routière. Les parlementaires vantent les mérites du constat d’infraction, qui sera également un « instrument procédural souple, sa forme pouvant varier selon le type d’infraction. » On précise également qu’il contribuera à l’amélioration de l’administration de la justice, permettant de régler hors cour une poursuite si le contrevenant veut reconnaître sa culpabilité. Cela offre aussi au défendeur le moyen de contester l’accusation ou la peine, sans avoir à comparaître en cour pour déclarer son intention. Entre autres, la ministre Louise Harel mentionne que l’institution pénale forçant les comparutions était « une procédure quasi de dinosaures ». Elle applaudit que les dispositions de dénonciation, sommation, avis préalable, enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité ou non puissent se faire par la poste. De plus, elle souligne que cela facilite les poursuites, en permettant à quiconque (individu, municipalités, etc.) d’obtenir l’autorisation d’une juge pour se constituer comme poursuivant.

Durant l’étude détaillée du projet de Loi 42 du 14 décembre 1992, on explique que le fondement de la modification, était de supprimer entre autres les dispositions pénales qui ont octroyé le droit de poursuite à un seul poursuivant et celles où l’autorisation d’une personne est requise afin de pouvoir intenter une poursuite pénale. Selon les parlementaires, cela a pour effet d’empêcher les autres personnes d’intenter une poursuite pénale, principe qui va à l’encontre du Code de procédure pénale. Les articles 116 et 117 de la Loi sur le TAL sont donc abrogés dans ce projet de loi modifiant de nombreuses autres lois.

Malgré que l’abrogation soit effectuée dans ce projet de Loi 42, on ne peut ignorer que l’Assemblée nationale en 1992 se questionne également sur la survie même de la Régie.

 

Bilan de la Régie du logement en 1992

 

Le 14 avril 1992, les parlementaires font le bilan de la Régie, dans le cadre du rapport Poulin issu du Conseil du trésor et proposant plusieurs coupes dans les services publics. De nombreux bureaux de la Régie ont fermé, le bail type n’est plus gratuit comme avant, les frais d’inscription ont augmenté et, maintenant, les parlementaires se questionnent sur la survie même de la Régie. En effet, le rapport Poulin propose l’abolition de régies et sociétés ou leur transfert aux municipalités. Cette dernière idée de transfert aux municipalités est vite abandonnée en débat, puisque les coûts seraient trop élevés et les services seraient inégaux sur le territoire.

 

Le ministre des Affaires municipales Claude Ryan précise que de plus en plus de dossiers se règlent en médiation et conciliation.

 

« La période qui s’écoule entre la première inscription et la première audition a été abrégée considérablement ces dernières années. On s’aperçoit que c’était à 76 jours en 1989; ç’a descendu à 64 jours en 1990, puis c’était rendu à 50 jours en 1991. Je me dis que c’est une amélioration quand même substantielle. Le délai de traitement global des dossiers dont est saisie la Régie était de 92 jours en 1989 et, en 1991, il était de 76 jours. (…) il y en a à peine 20 % qui portent sur des augmentations de loyer. Les autres dossiers portent sur l’ensemble des relations entre propriétaires et locataires. Les litiges qui se présentent à ce niveau-là, si la Régie n’existait pas pour les accueillir, il faudrait qu’un autre organisme soit là, ce serait les tribunaux réguliers. Vous voyez ça, la surcharge qu’on pourrait imposer aux tribunaux réguliers. »

 

Il se prononce en faveur de la Régie tout en mentionnant qu’il faut réexaminer ses fonctions.

 

Louise Thibault, présidente de la Régie, mentionne que dans les dernières années, les efforts ont été mis pour que la Régie soit perçue comme un organisme d’aide à la clientèle et non un Tribunal. On mentionne que de nombreux points de service ferment, tel celui du centre-ville de Montréal, et on se questionne à savoir si l’augmentation de l’accessibilité téléphonique répondra vraiment aux besoins. À ce sujet, le député Roger Paré mentionne : 

 

« Sans vouloir faire de publicité pour personne, il y a une publicité qu’on entend dans les médias sur la saucisse: Plus on en mange, plus on l’aime, puis plus on l’aime, plus on en mange. C’est un peu normal, elle est plus fraîche. C’est un peu la même chose avec les services de la Régie du logement: moins le service est accessible, moins les gens l’utilisent. Et je dois dire qu’on a pris quelques façons, depuis quelque temps, pour la rendre moins accessible ou, en tout cas, pour rendre le service moins utilisable. »

 

On soulève par ailleurs que 87 % des demandeurs à la Régie sont les propriétaires, qui payent les frais du recours. D’ailleurs, toujours en 1992, Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) reproche à la Régie d’être une instance au service des propriétaires et réclame la création d’un registre de loyers[15].

 

6.     RECOMMANDATIONS ET CONCLUSION

 

On ne peut que conclure que la disparition de la compétence de la Régie/le TAL de donner des constats d’infraction est une affaire de circonstances historiques et sociologiques. En effet, les coupes budgétaires, le fait que les bénéficiaires soient en grande partie des propriétaires et la réforme du Code de procédure pénal sont autant d’éléments contextuels qui rendent les dispositions pénales difficilement applicables lors des débats de l’époque. Toutefois, si les parlementaires en 1992 vantaient l’idée que quiconque pouvait se constituer comme poursuivant, la jurisprudence a démontré que les poursuites criminelles et pénales privées n’étaient pas une stratégie efficace.

 

À l’instar de nombreuses autres instances québécoises permettant la surveillance et la sanction des lois, pourquoi le législateur n’a pas redonné cette compétence au TAL lors de la réforme de 2020 ? On pourrait bien imaginer un système fonctionnel de permis pour les grands locateurs, un système de surveillance via des inspections (pour les problèmes apparents tels que la moisissure, le chauffage, la vermine, etc.). De plus, un registre des plaintes et des amendes graduelles selon la récidive, tel que vu dans la CLF, pourrait être utile. Et pourquoi pas la constitution d’un fonds d’indemnisation pour les locataires victimes de locateurs abusifs, à l’instar du Fonds prévu par la LSST ?

 

Le fardeau de preuve incombant au demandeur serait alors être réduit. La paperasse complexe pour les non-initiés, telles la demande introductive d’instance et la notification, serait chose du passé. Le poids pour faire valoir ses droits serait moindre et l’équilibre entre les parties se verrait réajusté. Les pertes au budget pour payer les inspecteurs seraient certainement contrebalancées par le désengorgement du TAL.

 

Selon nous, il est évident que de pouvoir utiliser efficacement les dispositions pénales serait un bon coup de pouce pour contrôler les loyers, contrer la spéculation immobilière et freiner les rénovictions afin de contrer la crise du logement au Québec!

 

 

** Image tirée des Archives de la Ville de Montréal: Fiche de Eddie Baker, arrêté par la police pour « drogues et vol à main armée ». 1924. P43-3-2_V16_E155-E156. 

 

[1] https://educaloi.qc.ca/actualites-juridiques/la-regie-du-logement-devient-le-tribunal-administratif-du-logement/

[2] Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc., 2006 QCCA 560, para 19

[3] Michele, M. « Seul devant la Cour » Barreau du Québec – Service de la Formation continue. Montréal, 2010.

[4] Emmanuelle Bernheim et Richard-Alexandre Laniel, Un grain de sable dans l’engrenage du système juridique. Les justiciables non représentés: problèmes ou symptômes? 2013, p. 48

[5] A. Jabre c. Caprera, 2015 CanLII 131649 (QC RDL)

[6] Tichit c. Du Bocage Co-Proprietes Enr., 2013 CanLII 105690

[7] Prévost c. Gagnon, 2011 CanLII 138832 (QC RDL)

[8] Nguiagain c. Patry, 2008 QCCQ 7137 (CanLII)

[9] Obadia c. 3008380 Canada inc, 31-940510-040P-940517 31-970718-057, décision de la Régie du logement, le 11 février 1998, Me Gilles Joly régisseur.

 

[10] Andraos c. Procureur général du Québec (C.A., 2020-12-03), 2020 QCCA 1613

[11] Théodore c. Savard-Déry (C.M., 2017-01-12), 2017 QCCM 117

[12] Théodore c. Savard-Déry (C.S., 2019-05-07), 2019 QCCS 1765

[13] La version initiale rédigée en 1979 lors de la création de la Régie était similaire, mais ne comportait que le premier alinéa.

[14] Assemblée nationale du Québec, trente-quatrième Législature, 2e session, 1992.

[15] RCLALQ, « Autopsie d’une fraude », 1992

 

Rappel

Les renseignements apparaissant ci-dessus sont de nature générale et ont pour seul objectif de fournir à la communauté juridique des notions de base concernant le droit. En cas de doute, contactez un.e avocat.e qui pourra alors vous renseigner adéquatement compte tenu des circonstances propres à votre situation.

0 Comments

Submit a Comment

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *