La crise de l’habitation ne cesse de monopoliser les pensées des Québécois. Comment peut-il en être autrement sachant que l’habitation permet de répondre à plusieurs de nos besoins fondamentaux ?

La Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, le nom officiel du projet de loi 31 maintenant sanctionné (et ci-après « la Loi sur l’habitation ») vient porter des changements significatifs en droit locatif au Québec.

Cette série de billets vise à clarifier comment la Loi sur l’habitation affectera cette crise et les droits des Québécois, locataires comme locateurs. Nous analyserons d’abord les modifications qui touchent au loyer (1), suivi de l’éviction, de la démolition et de la reprise (2), des obligations des locateurs de maintenir la salubrité et la sécurité d’un logement (3), de la sous-location et de la cession du bail (4), du logement étudiant (5), ainsi que de divers changements importants d’ordre procédural (6). Seront exclues de l’analyse les modifications plus urbanistiques qui visent à stimuler l’offre en matière locative et qui ne touchent pas directement le droit du logement.

Auteur : Mᵉ David Searle

Mais d’abord, une mise en garde

Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.

De plus, ce contenu ne saurait constituer un avis ou une opinion juridique.

Finalement, les auteurs et réviseurs chez Justice décodée se dégagent de toute responsabilité pour tout préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ce contenu qui est offert strictement à titre informatif.

La crise de l’habitation et l’état des logements

Trop souvent, les locataires font face à des problèmes de sécurité ou de salubrité dans leur logement. Selon les Signes vitaux du Grand Montréal de la Fondation du Grand Montréal (22 novembre 2022) :

  • En 2021, 9,7 % des locataires vivaient dans un logement qui nécessitait des réparations majeures (augmentation de 25 % depuis 2018) ;
  • 57 % des logements ont été construits avant les années 1980 et une proportion élevée de propriétaires pensent diminuer la rénovation ou l’entretien de leurs biens immobiliers dans le contexte de la hausse des coûts.

Face à une situation d’insalubrité, plusieurs locataires vont tout simplement déménager. Toutefois, avec la forte hausse du coût des loyers, les locataires n’en ont souvent plus les moyens. Selon le Rapport sur le marché locatif 2024 de la SCHL (31 janvier 2024) :

  • Seulement 10 % des ménages locataires montréalais ont changé d’adresse en 2023, contre 16 % en 2019 (juste avant la pandémie), soit une chute de 38 %.

Pour vivre dans de bonnes conditions, de plus en plus de locataires sont obligés de forcer leurs locateurs à procéder aux travaux requis. Or, le Tribunal administratif du logement (« TAL ») impose de faibles dommages sur les locateurs dans de telles situations[1].

Une réforme pour mieux protéger les locataires

À la lumière de ces constats, il paraît nécessaire de prendre des mesures pour assurer le bon entretien des logements. Or, la version initiale du projet de loi 31 ne comptait aucune mesure pour atteindre de tels objectifs. Ce n’est seulement après les consultations particulières qu’une mesure supplémentaire a été intégrée à la Loi sur l’habitation pour mieux protéger les locataires dans un logement insalubre.

Cet amendement fut mis de l’avant par la ministre France-Élaine Duranceau, qui a justifié cette modification à la loi de la manière suivante[2] :

« il faut que le logement qui est offert en location, il soit salubre, il faut que la santé, la sécurité puis le bien-être des locataires soient assurés. Alors, je propose d’insérer cet amendement-là pour mieux protéger les locataires, là, à l’égard de propriétaires qui seraient négligents en matière de salubrité des logements. »

La Commission de l’aménagement du territoire a ainsi intégré l’amendement suivant à l’article 1917 du Code civil du Québec (ajout sous-ligné)[3] :

  1. Le tribunal peut, à l’occasion de tout litige relatif au bail, déclarer, même d’office, qu’un logement est impropre à l’habitation ; il peut alors statuer sur le loyer, fixer les conditions nécessaires à la protection des droits du locataire et, le cas échéant, ordonner que le logement soit rendu propre à l’habitation.
    Il peut également, à la demande du locataire, attribuer des dommages-intérêts punitifs lorsque le logement est devenu impropre à l’habitation en raison de la négligence du locateur.
    1991, c. 64, a. 1917 ; 2024, c. 2, a. 4.

Depuis le 21 février 2024, les locataires peuvent donc réclamer des dommages-intérêts punitifs contre leurs locateurs, si ces derniers, par leur négligence, ont rendu leur logement impropre à l’habitation[4]. Cette forme de dédommagement s’ajoute à la diminution du loyer, ainsi que les dommages moraux, matériels et corporels qui permettaient déjà de compenser les préjudices pécuniaires et non pécuniaires subis par les locataires lésés[5].

Les dommages-intérêts punitifs : un bref survol

Tel que le rappellent les auteures Nathalie Vézina et Louise Langevin,

« les dommages-intérêts punitifs ne visent pas à réparer le préjudice subi par la victime, mais plutôt à punir l’auteur du fait reproché, éviter une récidive de sa part, dissuader d’autres personnes de l’imiter et exprimer la réprobation sociale à l’égard de certains comportements particulièrement répréhensibles[6]. »

De tels dommages-intérêts punitifs sont déjà prévus au Code civil du Québec en matière de louage résidentiel, soit lorsque :

  • Des locateurs refusent de louer un logement pour des motifs illégaux (art. 1899) ;
  • Des locataires subissent du harcèlement (art. 1902) ; et
  • Des locateurs effectuent une reprise ou une éviction de mauvaise foi (art. 1968).

L’article 1621 du Code civil du Québec précise les critères à l’octroi de dommages-intérêts punitifs :

  1. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
    Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
    1991, c. 64, a. 1621.

Notons également que les dommages-intérêts punitifs permettent d’obtenir des compensations de plus en plus importantes devant le TAL. Durant les dix dernières années, plusieurs locataires ont pu obtenir des dommages-intérêts punitifs qui dépassent les 20 000 $ dans le contexte de reprises et d’évictions effectuées de mauvaise foi[7].

Mieux comprendre le concept de logement impropre à l’habitation

Le Code civil du Québec définit ainsi un logement impropre à l’habitation à l’article 1913 :

« Est impropre à l’habitation le logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l’autorité compétente. »

Tel que le rappelle l’auteure et juge administrative Luce de Palma, qualifier un logement impropre à l’habitation représente un degré de sévérité important : « un logement peut ne pas satisfaire à la norme généralement acceptée par la société en matière d’habitation sans constituer pour autant un danger pour la santé ou la sécurité.[8] » Dans la même veine, selon Me Antoine Morneau-Sénéchal, « le critère de “menace sérieuse pour la santé ou la sécurité” n’est rencontré que dans les cas les plus graves : incendie, inondation, présence très importante de moisissures, absence de chauffage en hiver, infestation grave et prolongée de vermine[9] ». (références omises)

Dans Hajjar c. Hébert, jugement de référence en la matière, le TAL établit les critères requis pour qu’un logement soit considéré comme impropre à l’habitation[10] :

« […] pour réussir sur leurs demandes, les locataires doivent établir par une preuve concrète et prépondérante les éléments suivants :

1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l’immeuble en général ;

2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur ;

3) l’inaction du locateur à exécuter ses obligations légales ;

4) leur départ est justifié, car le logement était impropre à l’habitation au sens de l’article 1913 C.c.Q. et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise ;

5) la relation de cause à effet entre l’état du logement et les dommages réclamés. »

De plus, l’application de ce test doit se faire de façon objective, soit du point de vue d’une personne ordinaire, et ne doit pas prendre en compte les considérations personnelles des locataires concernés[11].

Finalement, notons qu’en matière de menace à la santé, le TAL requiert souvent un témoignage expert pour confirmer la toxicité des lieux. Rappelons à cet effet que les locataires ne peuvent pas récupérer, sauf exception les frais déboursés pour leur témoignage.

Commentaires

La Loi sur l’habitation ajoutera dorénavant à la liste de réclamations qui donnent droit à des dommages-intérêts punitifs les cas de logements rendus impropres à l’habitation en vertu de la négligence des locateurs.

L’accès élargi à des dommages-intérêts punitifs pourra avoir un impact dissuasif sur les locateurs, tentés autrement de laisser leurs logements dans un état d’abandon généralisé.

Cela dit, le TAL aura peu d’occasions pour appliquer cette réforme. Limitée aux logements dont l’état constitue une « menace sérieuse pour la santé ou la sécurité », elle ne concerne que les cas les plus sérieux.

Selon nous, les locataires qui vivent dans des logements qui ne sont pas en bon état d’habitabilité, une situation plus commune et qui représente un fardeau de preuve moins exigeant devrait également pouvoir obtenir des dommages-intérêts punitifs contre leurs locateurs (art. 1910). Il ne reste pas moins que cette réforme constitue un pas dans la bonne direction.

Nous avons également proposé une autre réforme à coût nul (ou presque) en commission parlementaire pour assurer la santé et la sécurité des locataires. Anonymiser les demandes des locataires les encouragerait à faire valoir leurs droits contre leurs locateurs.

Bon nombre de locataires refusent d’ouvrir une demande contre leurs locateurs puisqu’ils craignent que leurs démarches les nuiront dans leurs recherches pour un futur logement. Cette situation est propre à un marché en crise. Les locateurs qui ont le choix des locataires choisissent d’abord ceux qui ont un historique sans tâches, même si l’article 1899 C.c.Q. interdit de refuser la location à une personne qui a fait valoir des droits prévus à la loi. Malheureusement, ce changement devra attendre une prochaine réforme du droit du logement !

 

** Photo tirée des Archives de la Ville de Montréal. Démolition de bâtiments sur les rues Winning et du Plateau. – 10 juin 1960. P158-Y-2_12P002.

[1] Pour des exemples concrets, consultez notre série sur les dommages et diminution de loyer moyens : https://justicedecodee.com/category/logement/durant/diminution-de-loyer-et-dommages-moraux/

[2] Étude détaillée du projet de loi n° 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, Le mardi 31 octobre 2023 – Vol. 47 N° 23.

[3] Art. 4 de la Loi sur l’habitation.

[4] Art. 82 de la Loi sur l’habitation.

[5] Art. 1863 C.c.Q.

[6] Nathalie Vézina et Louise Langevin, « L’exécution de l’obligation » dans École du Barreau du Québec, Obligations et contrats, Collection de droit 2023-2024, vol. 6, Montréal (Qc), CAIJ, 2023, page 106.

[7] Moroz c. Brown-Johnson, 2022 QCTAL 13865; Martel c. Nguyen, 2023 QCTAL 1667; Baum c. Levine, 2023 QCTAL 18773; Poitras c. Bégin, 2017 QCRDL 22778; Huard c. Nsiembpa, 2015 QCRDL 27263; et Ainsworth c. IF Realties, 2024 QCTAL 14947.

[8] Luce De Palma, « Les règles particulières au bail d’un logement » dans École du Barreau du Québec, Obligations et contrats, Collection de droit 2023-2024, vol. 6, Montréal (Qc), CAIJ, 2023, 318. À distinguer donc du logement qui n’est pas en bon état d’habitabilité, art. 1910 C.c.Q.

[9] Antoine Morneau-Sénéchal, Le louage résidentiel (Montréal, QC : Wilson & Lafleur, 2020) page 97.

[10] Hajjar c. Hébert, [1999] J.L. 316.

[11] Gestion immobilière Dion, Lebeau Inc. c. GrenierJ.E. 91-345 (C.Q.)

0 Comments

Submit a Comment

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *