Dans le contexte d’une fixation de loyer demandée par le locateur, le locataire peut-il obtenir une réduction du loyer en invoquant l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer ?
Auteure: Olga Dragutan
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Question à l’étude
Dans le contexte d’une fixation de loyer demandée par le locateur, le locataire peut-il obtenir une réduction du loyer en invoquant l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer ?
Réponse à la question
Lors d’une audience en fixation de loyer devant le Tribunal administratif du logement, le locataire peut invoquer l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer afin d’obtenir une réduction du loyer.
Demande de fixation de loyer : définition
Selon l’article 1936 du Code civil du Québec (C.c.Q.), tout locataire a un droit au maintien dans les lieux. Le renouvellement du bail (appelé la « reconduction du bail ») se fait automatiquement, sans avoir besoin d’échanger d’avis.
Tout en respectant les balises juridiques imposées par la loi, le locateur peut également modifier une condition du bail ou même augmenter le loyer lors de sa reconduction[1]. Toutefois, le locataire pourrait refuser ces modifications et décider de demeurer dans le logement, et ce, toujours en se prévalant de son droit au maintien dans les lieux. Dans un tel cas, le locateur pourrait s’adresser au Tribunal administratif du logement (ci-après TAL) pour statuer sur la cause.
La demande de modification de bail est aussi appelée « demande de fixation de loyer ». Cest le recours disponible au locateur si le locataire accepte la reconduction du bail, mais refuse les modifications proposées ou l’augmentation de loyer[2].
En vertu de l’article 1950 C.c.Q., le locataire peut aussi faire une demande de fixation de loyer. Cette demande ne concerne que les nouveaux locataires ou les sous-locataires lorsqu’ils paient un loyer supérieur au loyer le moins élevé payé dans les 12 mois précédents le début du bail.
Quels sont les délais d’avis?
Il est important de respecter les délais prévus par la loi, pour que l’avis d’augmentation de loyer ou modification de bail soit valide.
En vertu de l’article 1942 C.c.Q., les délais d’avis varient selon la durée du bail en question. Tous les délais peuvent être consultés sur le site du TAL.
L’avis doit se faire par écrit, et une preuve de réception conforme doit être obtenue par le locateur[3]. Selon l’article 1943 C.c.Q., le délai qu’a le locataire pour répondre doit être indiqué clairement, soit 1 mois à compter de la réception de l’avis.
Outre les exceptions présentes à l’article 1955 C.c.Q., si le locataire refuse l’augmentation du loyer, cela ne suppose pas qu’il doit quitter le logement. Le bail sera renouvelé et c’est le TAL qui statuera sur le litige, le cas échéant.
Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01)
Dans le cas d’un refus du locataire à l’augmentation du bail, selon l’article 1947 C.c.Q., le locateur a 1 mois à compter de la réception de la réponse du locataire pour produire une demande pour fixation du loyer auprès du TAL. Le TAL détermine alors le loyer exigible et applique le Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01).
Selon le Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01), le TAL procède à un ajustement basé sur le loyer prévu par le bail en question, et ce, en fonction des dépenses précises encourues par le locateur durant l’année de référence[4]. Ces dépenses comprennent notamment le coût pour les réparations majeures, l’augmentation des taxes municipales et scolaires, le coût pour les frais d’énergie, les assurances, les frais d’entretien, etc.[5] Le calcul se fera par prépondérance de preuve, et la force probante du témoignage et de la preuve sera laissé à l’appréciation du TAL.[6] C’est le locateur qui a le fardeau de la preuve[7].
L’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01)
Même si c’est le locateur qui fait la demande en fixation de loyer, les locataires peuvent se prévaloir de l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01), qui se lit comme suit :
- Le tribunal réduit le loyer exigible dans la mesure où le locateur a fait défaut durant les 12 mois précédant la période pour laquelle le loyer est à fixer de maintenir la qualité des services ou de procurer l’usage d’un accessoire ou d’une dépendance de l’immeuble ou du logement concerné.
Le TAL pourrait décider de réduire le loyer exigible lorsque le locateur fait défaut de :
- Procurer l’usage d’un accessoire ;
- Procurer l’usage d’une dépendance de l’immeuble ;
- Maintenir la qualité des services.
Les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[8] réitèrent l’importance du maintien des services accessoires existants lors de la conclusion ou la reconduction du bail. Ils rappellent que le locateur a l’obligation de garantir la jouissance paisible des lieux pour la durée du bail, et que cette jouissance inclut les services accessoires, tels que le service de portier, si celui-ci a été offert au moment de la conclusion du bail. En supprimant ces services, le locateur engage sa responsabilité[9].
Le professeur Jobin fait une précision à ce sujet : « Bien que le Code civil ne comprenne pas de disposition expresse à cet égard, la solution s’impose en vertu de l’obligation de procurer la jouissance et du principe de la force obligatoire du contrat »[10]. De ce fait, même si le service supprimé n’a pas été expressément mentionné dans le bail au moment de sa conclusion, le locateur devrait toujours maintenir tous les services, avantages et commodités pendant la durée du bail[11].
Effectivement, Jobin utilise ce même exemple de la suppression des services d’un portier ou d’un concierge, pour illustrer des cas où des sanctions pourraient s’imposer aux locateurs[12]. Toutefois, les exemples sont presque infinis : « il peut arriver que la locatrice prive ses locataires de l’usage d’appareils pour laver et sécher le linge, d’un bain sauna, d’une piscine, d’un garage, d’un ascenseur; il peut en réduire les heures d’accès ou obliger désormais le locataire à payer pour y avoir accès »[13].
Le résultat, dans la grande majorité des cas selon Jobin, serait la réduction du loyer[14]. Le montant de la réduction s’estimerait « selon le rapport entre le service, la commodité ou l’avantage dont est privé le locataire et l’ensemble des services, commodités et avantages dont il bénéficiait à l’origine »[15].
Cependant, l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer (c. R-8.1, r.1.01) est appliqué restrictivement, selon le principe de l’interprétation restrictive des règlements[16]. Le TAL pourrait prendre en compte une faute contractuelle du locateur seulement si cette faute a été commise dans les 12 mois précédant la période de renouvellement du bail. L’effet de cet article est donc restreint dans le temps et a comme effet de limiter la réduction du loyer dont le locataire pourrait bénéficier[17]. Par exemple, dans l’affaire Société d’Habitation Village Jeanne-Mance c. Penyer[18], le TAL a exclu de la demande en fixation de loyer la démolition du cabanon pour l’année 2009-2010 puisque celui-ci avait été démoli en 2007.
Le fait de supprimer un service ou l’usage d’un accessoire au logement devrait être incontestable. Par exemple, dans l’affaire Kintzios c. Forget[19], l’usage de la cour arrière du logement n’a pas été supprimé, en dépit des prétentions du locataire. Cependant, il y a eu une modification des conditions d’usage de celle-ci. Pour cette raison, la cour a refusé d’appliquer l’article 8 du Règlement[20].
Toutefois, si le locataire a perdu la jouissance d’un service pendant les douze mois précédant le renouvellement du bail, alors le TAL « n’a pas à juger de la raison pour laquelle le locateur a supprimé l’usage de l’accessoire ou de la dépendance »[21]. Lorsque le TAL constate le fait (et si les autres critères sont satisfaits), il pourrait alors décider de réduire le loyer en conséquence[22].
Précisions sur les calculs faites par le TAL dans une demande en fixation de loyer
Dans l’affaire Quintal c. Rancourt[23], les régisseurs Me Francine Jodoin et Christine Bissonnette expliquent le fait que « […] le coût du loyer comprend tous ses éléments. Lorsque l’un d’eux fait défaut, le législateur a prévu qu’il faille le réduire en conséquence »[24]. L’évaluation du montant à réduire se fait sur une base objective, mais évidemment ne peut pas dépasser le montant total du loyer.
Puisque ce montant représente généralement la valeur attribuée au logement par le locateur, il est présumé que cette valeur inclut aussi l’ensemble des accessoires et des services mis à la disposition du locataire[25]. Alors, si le service de portier dans l’immeuble loué est un service inclus, soit explicitement ou implicitement[26] dans le bail, il est raisonnablement possible de croire que ce service constitue probablement une « plus-value » au logement[27].
Donc, il s’agit d’établir la valeur du service supprimé compte tenu du prix payé pour le logement mensuel. Dans l’affaire Quintal c. Hamilton[28], le calcul se fait à partir du prix payé avant la perte de service, puisque celui-ci a été déjà inclus dans le montant du loyer[29]. Le TAL procéderait donc à une évaluation raisonnable de ce service par rapport au prix du loyer. Le montant ne peut être fixe : c’est le TAL qui devra procéder aux calculs pour évaluer la perte dudit service par rapport au loyer[30].
Selon Mes Gilles Joly et Gérald Bernard dans l’affaire Castilloux c. Ouelletette[31], le principe suivant a été établit :
« La Régie réitère que la diminution de loyer doit correspondre à la perte de valeur locative encourue lors de la suppression d’un service. Cette valeur locative doit elle-même correspondre à la valeur du service supprimé en regard du loyer convenu, de la dimension ou contenance du logement et de l’ensemble des accessoires, commodités ou services fournis par le locateur. La diminution de loyer ne doit pas correspondre à la valeur de remplacement du service perdu »[32].
De quel montant en diminution du loyer s’agit-il?
La jurisprudence permet de faire une généralisation du principe applicable. Effectivement, le TAL pourrait prendre en considération la coupure de tout service, commodité ou avantage existant lors de la formation du contrat de bail[33] que ce soit : la coupure du service de portier; ou le fait de retirer des espaces de stationnement[34]; ou bien le défaut de procurer l’usage de la piscine[35]. Les exemples sont infinis, mais le principe demeure partout : le fait de supprimer un tel service, commodité ou avantage semble le plus souvent faire l’objet d’une réduction de loyer, calculé par le TAL.
Voici quelques exemples de montants accordés en diminution de loyer :
- 40 $ (soit 2%) en diminution de loyer pour le défaut de procurer l’usage de la piscine[36]
- 10 $ (soit 1.7%) en diminution de loyer pour la fermeture des salles de déchets aux étages (les bacs ont été installés au garage)[37]
- 30 $ (soit 5%) en diminution de loyer pour la perte d’un espace de rangement dans l’immeuble[38]
- 81 $ (soit 1.5%) en diminution de loyer pour la perte de l’usage du gymnase[39]
- 7 $ (soit 1.1%) en diminution de loyer pour la perte d’usage de la salle communautaire (convertie en bureau personnel du locateur)[40]
- 97 $ (soit 0.7%) en diminution de loyer pour la perte à l’accès à une salle de lavage[41].
Donc, le montant en diminution de loyer lors d’une demande en fixation de loyer semble varier entre 0.7% et 5%, et le TAL procèdera à quantifier la valeur de la perte subie.
En conclusion, lorsque des locataires refusent l’augmentation de loyer, le TAL pourrait alors décider de réduire le loyer à la suite du défaut du locateur de maintenir tous les services existant au moment de la signature du bail. Toutefois, les critères suivants seront nécessaires pour obtenir cette diminution. Les locataires devront démontrer, entre autres, que la coupure du service :
- a été constante pendant les 12 derniers mois précédents la date de reconduction du bail;
- n’était pas temporaire;
- n’était pas liée à une situation de force majeure[42], qui pourrait exonérer le locateur de toute responsabilité contractuelle selon l’article 1470 C.c.Q.
** Photo tirée des Archives de la Ville de Montréal: Course de toboggan, 1955. VM105-Y-3_065-09
[1] Art. 1942 C.c.Q.
[2] Art. 1947 C.c.Q.
[3] Les preuves de réceptions acceptables sont :
- par courrier recommandé;
- en mains propres avec un accusé de réception;
- par tout autre moyen permettant d’obtenir une preuve de réception valable.
[4] Palturn Towers Inc. c. Benzimra, 2010 QCRDL 39465.
[5] Société d’habitation et de développement de Montréal c. Croteau, 2022 QCTAL 10118, para 5.
[6] Jetté c. Hazelview Property Services Inc., 2022 QCTAL 1897, para 25.
[7] Société d’habitation et de développement de Montréal c. Croteau, 2022 QCTAL 10118, para 6.
[8] Thérèse Rousseau-Houle, Martine De Billy, Le bail d’un logement, p. 73.
[9] Ibid.
[10] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, 1996, p. 429.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Kintzios c. Forget, 2010 QCRDL 46854, para 9.
[17] Bureau de révision dans John J. Emberly c. Stanley Tower Apts. inc., R.L. révision Montréal 31-010327-191V-020306, le 25 octobre 2002, rr. Bernard et Bissonnette.
[18] Société d’Habitation Village Jeanne-Mance c. Penyer, 2012 CanLII 147559, para 21.
[19] Kintzios c. Forget, 2010 QCRDL 46854.
[20] Règlement sur les critères de fixation de loyer, c. R-8.1, r.1.01.
[21] Chouinard c. St-Jean, 2013 CanLII 141771, para 15.
[22] Ibid.
[23] Quintal c. Rancourt, 2011 QCRDL 40875.
[24] Ibid, para 9.
[25] Ibid, para 10.
[26] Nous avons vu cette conclusion dans Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, 1996, p. 429.
[27] Ibid, para 10.
[28] Quintal c. Hamilton, 2011 QCRDL 40876.
[29] Ibid, para 15.
[30] Ibid, para 16.
[31] Castilloux c. Ouelletette, Mes Gilles Joly et Gérald Bernard, J.L. 85-102.
[32] Ibid.
[33] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, 1996, p. 429.
[34] Jetté c. Hazelview Property Services Inc., 2022 QCTAL 1897.
[35] Corporation de la famille Katasa c. Bernier-Caya, 2022 QCTAL 5824.
[36] Ibid.
[37] Jetté c. Hazelview Property Services Inc., 2022 QCTAL 1897.
[38] Quintal c. Rancourt, 2011 QCRDL 40875, para 13.
[39] Immo 1212 des Pins c. Levine, 2012 CanLII 142782.
[40] Immo Gagné c. Béland, 2020 QCRDL 9644.
[41] BBL c. Gregoire, 2019 QCRDL 11002.
[42] Corporation de la famille Katasa c. Bernier-Caya, 2022 QCTAL 5824.
Rappel
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