La crise de l’habitation ne cesse de monopoliser les pensées des Québécois. Comment peut-il en être autrement sachant que l’habitation permet de répondre à plusieurs de nos besoins fondamentaux ?
La Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, le nom officiel du projet de loi 31 maintenant sanctionné (et ci-après « la Loi sur l’habitation ») vient porter des changements significatifs en droit locatif au Québec.
Cette série de billets vise à clarifier comment la Loi sur l’habitation affectera cette crise et les droits des Québécois, locataires comme locateurs. Nous analyserons d’abord les modifications qui touchent au loyer (1), suivi de l’éviction, de la démolition et de la reprise (2), des obligations des locateurs de maintenir la salubrité et la sécurité d’un logement (3), de la sous-location et de la cession du bail (4), du logement étudiant (5), ainsi que de divers changements importants d’ordre procédural (6). Seront exclues de l’analyse les modifications plus urbanistiques qui visent à stimuler l’offre en matière locative et qui ne touchent pas directement le droit du logement.
Auteurs : Mᵉ David Searle et Beata Elliot
Mais d’abord, une mise en garde
Ce billet vise strictement à informer les intervenants juridiques. Le public qui lit ce texte est encouragé à l’approfondir en faisant sa propre recherche. Bien que nous tentons d’offrir un contenu juste en date de la publication, certaines informations risquent d’être incomplètes ou erronées.
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La sous-location sous la loupe du législateur
Face à la crise du logement, la cohabitation représente un des moyens préconisés par certains experts pour atténuer le manque de logements disponibles au Canada[1]. Or, la cohabitation n’est pas sans ses limites. La promiscuité entre occupants d’un même logement est propice aux conflits[2]. De plus, les locateurs dénoncent la marchandisation de leurs logements par la voie de la sous-location[3]. Aussi récemment qu’en mai 2023, le législateur a tenté de limiter la publication d’offres d’hébergement sur des plateformes de type AirBnb à des détenteurs de permis valides[4].
C’est dans cette trame de fond que la Loi sur l’habitation apporte des changements au droit du logement en matière de sous-location. Dans un premier temps, cette loi interdit formellement la commercialisation de la sous-location. Dans un second temps, elle apporte des modifications à la procédure de non-renouvellement de bail en cas de sous-location pendant plus de 12 mois.
Définition de la sous-location
Avant l’adoption de la Loi sur l’habitation, le Code civil du Québec encadrait déjà le fonctionnement de la sous-location.
En soi, la sous-location vise le remplacement temporaire d’un locataire par un sous-locataire, ce dernier ne bénéficiant pas d’un droit au maintien dans les lieux[5]. Elle peut prendre effet pour une partie ou la totalité de l’espace habité d’un logement[6]. Pendant toute la durée de la sous-location, le locataire demeure responsable pour l’état du logement et le paiement du loyer, contrairement à ce qui est prévu en matière de cession de bail par laquelle le locataire est libéré de ses obligations envers le locateur[7]. De plus, un locataire doit aviser son locateur de sa volonté de procéder à une sous-location, et le locateur bénéficie d’un délai de 15 jours pour refuser un candidat à la sous-location en invoquant un motif sérieux[8].
Régime antérieur faisant l’objet de modifications
Le Code civil du Québec interdit également au locataire de changer la destination de son logement en l’utilisant à des fins commerciales[9]. Le Tribunal administratif du logement a rendu plusieurs jugements résiliant le bail d’un locataire qui signe un ou des contrats de sous-location à un loyer fort supérieur au montant qu’il paie au locateur[10].
Fait beaucoup moins connu, la sous-location de l’entièreté d’un logement pendant une période de plus de 12 mois peut également mener au non-renouvellement du bail à l’initiative du locateur[11]. Ce dernier peut effectivement envoyer un avis de non-renouvellement du bail au locataire s’il estime que ce dernier a effectué une sous-location du logement pendant plus de 12 mois[12].
Sur réception d’un avis de non-renouvellement du bail pour cause de sous-location pendant plus de 12 mois, un locataire se devait d’ouvrir une demande pour s’opposer à la démarche du locateur, sans quoi, il était présumé y consentir :
1948. Le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois, ainsi que l’héritier ou le liquidateur de la succession d’un locataire décédé, peut, dans le mois de la réception d’un avis donné par le locateur pour éviter la reconduction du bail, s’adresser au tribunal pour en contester le bien-fondé; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la fin du bail.
Si le tribunal accueille la demande du locataire, mais que sa décision est rendue après l’expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s’adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale.
1991, c. 64, a. 1948.
Peu connus, ces avis étaient souvent ignorés par les locataires. Arrivée à la fin du bail, un locateur pouvait alors obtenir l’expulsion du locataire qui, par son silence, était réputé avoir consenti au non-renouvellement de son bail[13].
Les nouvelles dispositions
Tout d’abord, la Loi sur l’habitation s’attaque à la tendance de certains locataires de profiter de la crise du logement en faisant payer un loyer excessif à leur sous-locataire. La loi vient donc ajouter un nouvel article au Code pour contrer ce phénomène :
1978.4. Le locataire qui sous-loue son logement ne peut exiger, outre le coût des services offerts et des frais raisonnables pour l’usage des biens meubles dont le locataire est propriétaire, un montant supérieur au loyer qu’il verse au locateur.
2024, c. 2, a. 16.
Cette disposition codifie l’état de la jurisprudence développée en lien avec l’article 1856 C.c.Q.
De plus, la Loi sur l’habitation insère un nouvel article au Code, 1944.1, une nouvelle phrase à l’article 1947 et amène des modifications de concordance à l’article 1948 (ajouts en gras):
1944.1.Dans le mois de la réception de l’avis visé à l’article 1944, le locataire d’un logement sous-loué pendant plus de 12 mois est tenu d’aviser le locateur de son refus de mettre fin au bail ou de l’aviser qu’il quitte les lieux; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement.
2024, c. 2, a. 6.
1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail. Il peut également, lorsque le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois refuse de quitter les lieux, s’adresser au tribunal pour mettre fin au bail.
S’il omet de présenter sa demande dans le mois suivant le refus, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures.
Si le tribunal rejette la demande visant à mettre fin au bail, mais que sa décision est rendue après l’expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s’adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale.
1991, c. 64, a. 1947; 2024, c. 2, a. 7.
1948. L’héritier ou le liquidateur de la succession d’un locataire décédé, peut, dans le mois de la réception d’un avis donné par le locateur pour éviter la reconduction du bail, s’adresser au tribunal pour en contester le bien-fondé; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la fin du bail.
Si le tribunal accueille la demande, mais que sa décision est rendue après l’expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s’adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale.
1991, c. 64, a. 1948; 2024, c. 2, a. 8.
Dorénavant, un locataire est présumé refuser le non-renouvellement de son bail sur réception d’un avis de son locateur qui lui reproche la sous-location du logement sur plus de 12 mois. Ce dernier, et non le locataire, devra maintenant ouvrir une demande devant le Tribunal afin de forcer la fin du bail.
Commentaires
Nul ne peut être contre la vertu. Les changements amenés par la Loi sur l’habitation au Code ont le mérite de protéger davantage les parties les plus vulnérables.
Le nouvel article 1978.4 interdit formellement aux locataires de charger à leurs sous-locataires des loyers trop élevés, tenant compte du « coût des services offerts et des frais raisonnables pour l’usage des biens meubles ». Cette codification du droit antérieur ne représente pas une réforme, mais contribue à rendre la loi plus claire pour les personnes concernées. En effet, plusieurs jugements du Tribunal reconnaissent déjà le droit d’un locataire de sous-louer son logement à un loyer plus cher que le montant payé au locateur, mais uniquement afin de couvrir les coûts implicites de la sous-location[14]. Selon les interventions du Président du Tribunal en commission parlementaire, Me Patrick Simard, l’intervention du législateur ouvre de plus la porte a des recours du sous-locataire contre son sous-locateur qui lui aurait chargé trop de loyer en contravention à cet article[15].
Le nouvel article 1944.1, ainsi que les nouvelles versions des articles 1947 et 1948, renversent quant à eux la présomption reliée au silence du locataire qui reçoit un avis de non-reconduction du bail pour sous-location de son logement pendant plus de 12 mois. Cette réforme permettra d’éviter des situations inéquitables où un locataire se voit nier le droit de contester la validité du recours du locateur.
Effectivement, l’ancienne structure de la législation imposait un fardeau beaucoup trop important sur les locataires plus vulnérables et moins bien informés de leurs droits et obligations. Cette réforme viendra donc mieux protéger le droit au maintien dans les lieux des locataires en évitant qu’une simple règle de procédure puisse bêtement y mettre fin.
** Photo tirée des Archives de la Ville de Montréal. Résidence – 4 octobre 1945: Photographie de la maison de chambres Lansdown Redg (1319, rue Dorchester Ouest- aujourd’hui boulevard René-Lévesque Ouest – entre de la Montagne et Crescent). Cote: CA M001 VM094-Y-1-17-D0183-P12.
[2] Searle, David. “Recours entre occupants d’un même logement ». Blogue SOQUIJ (17 novembre 2022).
[3] Cyr, Guillaume. “ Un locataire a-t-il toujours le droit de sous-louer son appartement? Et de le mettre sur Airbnb? On vous explique” Journal 24h (25 octobre 2022) : https://www.24heures.ca/2022/10/25/un-locataire-a-t-il-toujours-le-droit-de-sous-louer-son-appartement-et-de-le-mettre-sur-airbnb-on-vous-explique.
[4] Loi visant à lutter contre l’hébergement touristique illégal, LQ 2023, c 16.
[5] Code civil du Québec, art 1940.
[6] Ibid, art 1870.
[7] Ibid, arts 1873‑1876.
[8] Ibid, art 1871.
[9] Code civil du Québec, RLRQ, c CCQ-1991, art 1856. Voir aussi Antoine Morneau-Sénéchal, Le louage résidentiel, Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, à la p 49.
[10] À titre d’exemple, voir : Weinberger c Kogan, 2021 QCTAL 294 (CanLII) ; Bouchard c Claveau, 2024 QCTAL 3251 (CanLII) ; Gestion RGG inc c Gagnon, 2021 QCTAL 24212 (CanLII).
[11] Code civil du Québec, supra note 9, art 1944.
[12] Ibid. Notons que la jurisprudence peu abondante en la matière, ainsi que les commentaires du ministre de la Justice au sujet de l’article 1944 C.c.Q., pointent vers la possibilité d’un renouvellement de bail dans le contexte d’une ou des sous-locations du logement pendant 12 mois non-consécutifs : 173548 Canada Inc c Fadeel, 2009 CanLII 96368 (QC TAL) au para 58; Gestion Villeneuve Pelletier Ltée c Tremblay, 2024 QCTAL 17811. Commentaire du ministre de la Justice sur l’article 1944 C.c.Q.: « Le premier alinéa de cet article reprend le droit antérieur, mais s’en distingue en ce qu’il n’exige pas que les douze mois de sous-location soient consécutifs. »
[13] Voir Arthur Amro Holdings Inc c Westmount Square Residential, 2022 QCCQ 2428 (CanLII).
[14] À titre d’exemples, voir : Société d’habitation et de développement de Montréal c. Castonguay, 2022 QCTAL 27272 (CanLII); Sabec Gestion et développement immobilier c. Beaulieu, 2022 QCTAL 27040 (CanLII); Dabarno Realties Inc. c. Rhanny, 2021 QCTAL 7003 (CanLII).
[15] Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 28 novembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation », 17h40.
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