Cette note de recherche tente d’identifier les critères qui différencient le contrat de travail avec un bail accessoire, et inversement, un bail de logement avec un contrat de travail accessoire. Il se fonde sur une analyse de cas tirés de la jurisprudence.
Mais d’abord, une mise en garde
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Pour distinguer le bail accessoire du bail principal, les tribunaux se posent trois questions :
- Le logement est-il une rémunération? Lorsque le travail est principal, le bail accessoire constitue une forme de rémunération pour le travail effectué. Si la réponse est non, le logement est principal. Le travail accessoire devient alors une façon de payer son logement.
- Le bail existe-t-il si le travail disparaît? Lorsque le bail est accessoire, le locataire ne peut habiter le logement s’il n’effectue pas son travail.
- Quel est l’ordre des accords signés? L’ordre dans lequel les contrats ont été signés peut indiquer lequel est principal et lequel est accessoire. Un bail, une fois signé, ne peut pas devenir accessoire même si on y jumelle un contrat de travail.
Les cas tirés de la jurisprudence sont en majorité des cas de conciergerie.
La section 1 de ce travail explique que cette distinction est nécessaire afin d’établir la compétence des tribunaux ainsi que les droits et obligations des parties prenantes. La section 2 s’intéresse aux critères de différenciation. Finalement, la section 3 s’intéresse aux contrats complètement distincts.
I. Pourquoi faire la distinction ?
1.1 Pour déterminer la compétence
Il revêt une importance cruciale de distinguer si le bail est considéré comme principal ou accessoire, car cela détermine quel tribunal est compétent pour traiter le litige[1]. L’occupation d’un logement à elle seule ne donnera pas compétence au Tribunal administratif du logement (ci-après « TAL »)[2].
En outre, le TAL possède compétence de façon générale sur les demandes relatives aux baux, ainsi que les accessoires qui y sont reliés. Ces compétences sont accordées par l’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[3].
La Cour d’appel du Québec confirme ces compétences dans l’affaire Coopérative d’habitation Jeanne-Mance c. Landry :
« Ainsi, selon l’article 28, deux paramètres définissent la compétence de la Régie : d’abord, une compétence générale sur toute demande “relative au bail” de logement pourvu que l’intérêt monétaire en jeu soit du niveau de la compétence de la Cour du Québec (par.1) et ensuite une compétence particulière sur certaines matières précisées sans égard à la valeur de l’objet en litige (par. 2 et 3). Cela dit, la Régie aura compétence au sens du premier paragraphe de l’article 28 sur les accessoires se rattachant au bail. »[4]
Lorsque le contrat de travail constitue le lien contractuel principal entre les parties, le Tribunal administratif du logement ne possède pas compétence. Il revient plutôt à la Cour du Québec d’entendre la cause[5].
1.2 Pour déterminer les droits et obligations
Les dynamiques entre les parties prenantes sont régies de manière distincte selon le contrat prédominant en jeu.
Lorsque le bail est simplement accessoire au contrat de travail, l’article 1976 C.c.Q stipule que l’employeur a le droit de résilier le bail accessoire lié à ce contrat lorsque le salarié ne travaille plus pour lui (sauf s’il y a indication contraire dans le contrat). Dans ce cas, l’employeur doit accorder un préavis d’un mois au salarié. De même, le salarié a le droit de résilier le bail accessoire s’il met fin à son contrat de travail, en fournissant un préavis d’un mois à l’employeur, sauf disposition contraire dans le contrat.
Si le bail est le contrat principal, le locataire possède davantage de protection, ayant un droit d’ordre public au maintien dans les lieux (1936 C.c.Q.). Son locateur ne peut mettre fin au bail que si le locataire ne respecte pas ses obligations. Sans entente entre les parties, le locateur devra obtenir l’aval d’un juge du TAL pour résilier le bail.
II. Les critères de distinction
Dans le cadre d’un litige concernant le caractère accessoire d’un bail, il faut déterminer quel contrat est le principal et lequel est accessoire. En d’autres termes, quel contrat suit l’autre ? Le tribunal va d’abord se questionner sur la nature des contrats et l’intention des parties impliquées[6].
Les éléments suivants constituent des indices qui aident le tribunal à déterminer l’intention des parties quant au contrat principal les liant. Cette détermination peut se faire en examinant les contrats ou en analysant le comportement des parties[7].
2.1 Le logement est-il une rémunération ?
2.1.1 Le bail accessoire à un contrat de travail
Lorsque l’intention principale des parties est d’être reliées par un contrat de travail, le bail accessoire est une forme de rémunération pour le travail effectué, ou un prérequis pour être embauché[8]. Le locataire a accédé au logement parce qu’il a été engagé. La rémunération suit le travail.
Dans une affaire, les parties avaient signé un seul contrat, qui comprenait le passage suivant :
« In consideration for the exchange of superintendent duties for the above mentioned property, there shall be a compensation awarded (contrary to what the lease between the Landlord and the Superintendent indicates) in the form of free rent for apartment that the Superintendent (named herein below) occupies and the electricity costs for their apartment shall also be paid by the Landlord. In the case where the duties herein mentioned are not carried out to the satisfaction […] then the Landlord shall have the right to cancel this contract with […]. »[9]
Selon le tribunal, l’indication dans le contrat de travail selon laquelle le locataire doit remplir ses obligations professionnelles pour bénéficier d’un logement gratuit démontre que le contrat de travail est considéré comme le principal, tandis que le bail est considéré comme accessoire, car il constitue un avantage octroyé à l’employé.
Dans les décisions judiciaires examinées dans le cadre de cette note de recherche, nous avons observé ce type de clause dans environ 70% des litiges impliquant un concierge et son employeur/locateur.
2.1.2 Le contrat de travail accessoire à un bail de logement
À l’inverse, lorsque l’intention est liée avant tout par un contrat de bail, le travail accessoire constitue un moyen de payer son loyer ou d’en réduire le coût[10].
2.2 Le bail existe-t-il si le travail disparaît?
Forcément, lorsque le bail constitue une rémunération à un contrat de travail, le logement est subordonné et dépend du contrat de travail[11]. Sans contrat de travail, le bail n’existe pas.
Dans l’affaire Commission Scolaire Crie c. Cameron, le Tribunal stipule la chose suivante :
« Pour déterminer lequel des deux contrats est le contrat principal et lequel est le contrat accessoire, le Tribunal se posera la question suivante: L’employée peut accéder à un logement fourni par l’employeur puisqu’elle a un contrat de travail. Advenant que l’employée n’a pas de contrat de travail, peut-elle occuper ce logement ? Poser la question, c’est y répondre. »[12]
Il est à noter qu’un bail accessoire pourrait devenir principal si le locateur permet aux locataires de rester dans le logement après la fin du contrat de travail[13].
2.3 Un bail régulier peut-il devenir accessoire ?
Parfois, il est difficile d’établir quel contrat est le principal. Par exemple, dans Estate of Nick E. c. Themelis, le locataire est engagé comme concierge des mois après la signature de son bail. On lui offre alors un loyer gratuit en échange de ses services. Au premier abord, nous pourrions penser que le bail principal est devenu un bail accessoire.
Le TAL n’est pas de cet avis. Selon lui, puisque le contrat du bail a été signé avant l’accord de travail, le contrat de travail est automatiquement un accessoire. Le bail demeure principal[14].
Dans 3322955 Canada inc. (Lakeside Apartments) c. Dajon, il s’agit également du facteur décisif relevé par le TAL lorsqu’il déclare le bail comme contrat principal : « (…) le tribunal est d’avis qu’il a compétence, puisque le contrat de travail du locataire a été conclu après la signature du bail et qu’il est donc l’accessoire du contrat de bail. »[15]
En bref, la jurisprudence indique si un bail est signé avant une entente de travail, cette dernière entente risque d’être considérée accessoire au bail[16].
III. Lorsque les deux contrats sont distincts et autonomes
Il se peut que les contrats soient distincts et autonomes, et que nul ne soit considéré comme accessoire de l’autre. Le tribunal va examiner la possibilité de séparer ou dissocier les deux contrats, afin de déterminer s’il existe une indépendance des obligations contractuelles[17].
Dans l’affaire 9106-7850 Québec inc. c. Bertrand, le Tribunal conclut que le contrat de travail de conciergerie ainsi que le bail sont complètement distincts bien que le locateur et l’employeur soit la même personne. Le locataire a notamment fait les démarches lui-même pour trouver son logement après le début de son contrat de travail. Son travail lui donne une rémunération et paye ses heures supplémentaires. L’un n’a pas d’influence sur l’autre[18].
Dans un autre cas, Jean-Marc Henri inc. c. Comtois, le locateur tente d’expulser sa locataire, car selon-lui, le bail était accessoire à un contrat de travail offert à l’ex-conjoint de la locataire. Comme celui-ci a quitté l’emploi, celle-ci n’aurait plus le droit de maintenir les lieux. Dans son analyse, la Cour établit que la compagnie pour qui le conjoint travaillait et le locateur sont deux entités distinctes. Il serait difficile de conclure dans ces circonstances que le bail est accessoire au contrat de travail. Le défendeur est incapable de prouver que l’une des compagnies est une filiale de l’autre. Les deux contrats sont donc distincts et contiennent des obligations différentes[19].
Ces cas de jurisprudence indiquent donc qu’en présence de contrats d’habitation et de travail sont distincts, le TAL gardera compétence sur les questions qui relèvent du bail.
Conclusion
Les critères utilisés par les tribunaux pour différencier un bail accessoire d’un contrat de travail accessoire sont essentiels pour déterminer la compétence juridictionnelle ainsi que les droits et obligations des parties prenantes. Le TAL ne peut s’occuper que des questions relatives au logement lorsqu’il s’agit de l’entente principale, ou d’une entente complètement distincte d’une autre. Un bail de logement confère alors au locataire un droit au maintien dans les lieux, droit qui est absent dans un contrat de travail[20].
Afin de distinguer quel contrat est le principal, le Tribunal examinera l’intention des parties par l’analyse de la nature des contrats ou de l’entente. La jurisprudence enseigne qu’un bail devient accessoire lorsque le loyer constitue une forme de rémunération pour le travail effectué et lorsque celui-ci s’éteint si le travail disparaît. De plus, si un bail quelconque est signé avant une entente de travail, le travail est plus souvent qualifié d’accessoire au bail.
Finalement, chaque différend étant un cas d’espèce, une personne impliquée dans un tel litige aurait intérêt à aller chercher un avis juridique pour bien cerner le cadre juridique de son dossier, et les droits qui en découlent.
[1] Bilodeau c. Danveranna Investment Ltd [1996] J.L. 168.
[2] Manea c. Ajabi, 2015 CanLII 144830 (QC TAL) au para 15.
[3] 1979, c. 48, tit. I; 2019, c. 28, a. 75.
[4] 2002 CanLII 35680 (QC CA), au para 38.
[5] Richard c. Lamerise, 2018 QCRDL 31294.
[6] Immeubles JHM enr. c. Messier, 2019 QCRDL 37258; Roussel c. Succ. de Feu Pierre Jerome, 2012 CanLII 145070 (QC TAL); Karadja c. Salomon, 2020 QCRDL 12972 (CanLII)).
[7] Ibid.
[8] Estate of Nick E. c. Themelis, 2010 au para 17.
[9] 9353-9500 Québec inc. c. Mancini, 2022 QCTAL 4406 au para. 24.
[10] Caron c. Manteau, 2017 QCRDL 24501.
[11] Immeubles Choucair inc. c. Tiscione, 2019 QCRDL 2223.
[12] 2015 CanLII 137071 (QC TAL), au para 32-34.
[13] Jean-Marc Henri inc. c. Comtois, 2023 QCCQ 6139, para 55.
[14] 2010 CanLII 133778 (QC TAL) au para 19.
[15] 2018 QCRDL 7256 (CanLII) au para 14.
[16] Galiano c. Vaillancourt, [2005] J.L. 29.
[17] Lampron Bey c. Paquette, 2019 QCRDL 40635.
[18] 2018 QCCQ 10845.
[19] 2023 QCCQ 6139.
[20] 1976 C.c.Q.
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